Créé en décembre 2018, la 6ème édition du festival international de court-métrages DAKAR COURT, c’est tenu à Dakar du 11 au 16 décembre 2023. Ce fut l’occasion pour la réalisatrice franco-sénégalaise Alice Diop de présenter, le vendredi 16 décembre au Cinéma Pathé, l’avant-première de son long métrage « Saint-Omer ». Le film raconte l’histoire d’une expatriée sénégalaise en France accusée d’avoir tué sa fille de 15 mois en l’abandonnant sur une plage du Nord de la France à marée montante. Si ce film, depuis sa sortie en 2022 a remporté beaucoup de prix (meilleur premier long métrage et Grand Prix du Jury à la Mostra de Venise, César du meilleur premier film), il continue de soulever le débat sur l’infanticide dans nos sociétés, l’identité ou les stéréotypes liés au genre et à l’origine.
Alors, pourquoi faut-il absolument aller voir ce film malgré tout ?

Une œuvre ne vous laisse pas indifférente quand vous y repensez quelques heures après, malgré le fait que vous vous soyez laissé surprendre par le sommeil ou l’ennui pendant quelques minutes, instants qui auraient pu être fatals. Eh bien oui, Saint Omer est un beau film techniquement et artistiquement, notamment par la dramaturgie réalisée et le jeu discrètement époustouflant des acteurs si bien accompagnés car bien aimés assurément.
La bande son, paroles…paroles… est l’écrin parfait de plans rapprochés, d’images fortes et de longs travellings. On entend avec respect des mots élégants, poétiquement choquants, leur poids insolite demeure dans ces silences suspendus dans l’obscurité de la salle de cinéma où l’on s’installe pour assister à un phénomène cinématographique. Le début du film où l’on capte les pas croissants d’une héroïne dont le profil malheureux sur la grève de la plage de Berck sur Mer nous intrigue. On comprend dès lors que cette ambiance dramatique créé avec maîtrise va aller subtilement en crescendo en résonnance à 3 héroïnes du film: Laurence Coly « mère infanticide » au visage de geisha noire et à la voix parfaite que Truffaut aurait apprécié, Rama l’androgyne intellectuelle aux formes parfaites pour couver à son corps défendant une grossesse et la juge non africaine toute emphatique et perdue pour dire et faire le droit.
Saint Omer est bien ce récit féminin d’une femme possédée et éperdue, Médée post moderne (le sens du film ? Il n’y pas de sens à expliciter, ni de leçon transmise du reste), reste l’émotion à l’état pur, succès d’une non fiction, puisque ce fait divers récent, moins de 20 ans, est traité comme un documentaire sauf que… le casting est époustouflant et la direction d’acteurs le classe bien comme un film fiction qui fait hurler tous les imaginaires et nous fait croire que les chimères sont bien des évidences scientifiques, on y croit, on le pense et on y repense.
La Moestra de Venise 2022 est bien ce prix mérité par la jeune diasporique Alice Diop si possédée par son sujet, l’histoire d’une jeune enfant de moins de 24 mois posée, en bord d’un rivage par temps frais et nuit lunaire. Et malgré tout… malgré un montage techniquement adéquat mais glacialement perçu, malgré un sujet très courant (du moins au Sénégal, malheureusement), malgré une histoire (vécue en France, singulièrement) racontée sans pathos avec la marque d’une tragédie grecque… Malgré tout, qu’est ce qui rend ce film exceptionnel, tant de prix reçus, et un public dakarois à l’avant-première africaine carrément sonné, au cinéma Pathé de Dakar ce vendredi 15 décembre ?
Une histoire de mères, de femmes africaines muettes, emmurées dans des conflits intérieurs, et l’on pense aux héroïnes, du doyen des cinéastes noires africains, Sembene Ousmane, dont l’année 2023 célèbre le centenaire de sa naissance, avec les héroïnes de la Noire de Guelwaar, ces personnages féminins hurlant en silences, en mono syllabes et en « tirades » littéraires dans un langage maîtrisé convoquant tous types d’ imaginaires chez les spectateurs, produit de nos inconscients personnels ou collectifs. Malgré tout, il n’y a rien à expliquer et tout à comprendre, allez voir Saint Omer.
Maty Ndiaye.