Féru de l’art et son monde, Julien Marlier est un collectionneur français qui s’est passionné pour l’art moderne africain. Dans cet entretien, il revient sur les raisons qui ont fondé cette spécialisation, son parcours de collectionneur et ses projets.
Entretien.
Asakan : Quelle est votre relation à l’art ? Comment êtes-vous devenu collectionneur ?
Julien Marlier : J’ai commencé à collectionner il y a plus de 10 ans par le plus grand des hasards. Alors que nous cherchions où manger dans le froid glacial d’un soir d’hiver à Lyon, nous sommes rentrés avec mon épouse et des amis dans un petit restaurant africain avenue Berthelot. Il y avait accroché au mur un tableau d’un bleu et d’une énergie qui m’ont subjugué tout au long du dîner. A la fin du repas j’ai demandé à la propriétaire quelle était l’origine de ce tableau alors que je ne connaissais rien à l’art. Il s’agissait d’une peinture d’un artiste de l’Ecole de Poto-Poto à Brazzaville. Je lui ai dit : « je vous l’achète » et ma passion a démarré comme cela !
Asakan : Quel est votre prisme ? Quels artistes collectionnez-vous ? Quelles sont vos relations avec ces artistes ?
Julien Marlier : Je collectionne uniquement les artistes modernes africains même si la distinction entre art moderne et art contemporain africain me semble artificielle pour ne pas dire marketing. Je ne suis pas sûr que l’on puisse dupliquer cette distinction qui prévaut pour les périodes de l’art occidental au continent africain. Je préfère parler de naissance de l’art contemporain en Afrique subsaharienne ou de premières générations d’artistes contemporains voire de précurseurs pour certains. Plus récemment je me suis ouvert à des artistes de l’Afrique du Nord et de la Caraïbe. Pour ces derniers, certains ont eu de très forts liens avec la Côte-d’Ivoire et le mouvement Vohou-Vohou.
Pour moi, les artistes contemporains ont besoin du succès des artistes modernes, les deux ne s’opposent pas. Si on fait un parallèle avec l’art occidental, les Impressionnistes n’auraient pas eu une telle force s’il n’y avait pas eu les Classiques auparavant, et ainsi de suite. Bref c’est une chaine de valeur qui crédibilise et profite à l’ensemble de la création.
Malheureusement, les artistes que je collectionne sont quasiment tous décédés aujourd’hui. Mais pourquoi ne pas acheter du contemporain un jour ! J’aime bien Freddy Tsimba.
Asakan : Pensez-vous qu’on puisse prévoir avec exactitude les artistes qui marqueront l’histoire de notre époque ?
Julien Marlier : Je dirais plutôt que les artistes africains qui ont une singularité artistique marqueront l’histoire de l’art, pas forcément notre époque, peut-être celle d’après, ce n’est qu’une question de temps pour ceux-là. Aujourd’hui nos grilles de lecture sont tout à fait obsolètes. Tout est beaucoup plus complexe selon moi, il faut prendre en compte la singularité de l’émotion, la force esthétique de la création, les influences régionales, les trajectoires personnelles … C’est pourquoi le travail des historiens et des critiques d’art africain est essentiel. Tout est à réétudier sans cesse avec un œil neuf pour modifier et faire avancer nos points de vue. Nombre d’artistes seront à réhabiliter selon moi. Nous ne sommes pas à l’abri de quelques belles surprises !
Asakan : Aujourd’hui, votre collection s’élève à combien de pièces ? Pouvez-vous nous en citer quelques-unes ?
Julien Marlier : J’ai eu plus d’une centaine de pièces mais je me suis séparé de beaucoup pour me recentrer sur les œuvres de ma collection les plus qualitatives d’artistes en activité dans les années 60. Je trouve ces artistes intéressants car ils ont connu la fin de la période coloniale et le début des indépendances. Vous savez les idées de la Révolution française se sont développées un siècle auparavant, les premiers révolutionnaires ne sont pas toujours ceux qui tiennent les barricades !
François Thango par exemple a commencé à créer pendant la période coloniale. Cela ne l’a pas empêché d’être le premier artiste à rompre avec la peinture figurative qui prévalait en Afrique subsaharienne. Il s’affranchit aussi des formats habituels en faisant des fresques de plusieurs mètres de long. Il est évident qu’à l’époque, par sa liberté de création, Thango ouvre en Afrique la voie à nombre d’artistes contemporains qui vont suivre.
Asakan : Décrivez-nous svp un objet de votre collection qui vous tient particulièrement à cœur ? Avec lequel vous entretenez une relation particulière ?
Julien Marlier : Il y a quelques œuvres qui me tiennent particulièrement à cœur et avec lesquelles j’entretiens une relation particulière. Je ne peux pas choisir entre elles car les raisons et les émotions sont à chaque fois différentes. D’une manière générale, je dirais que ces quelques œuvres sont accrochées, je vis avec. Je les apprécie toujours, c’est la magie de certaines œuvres, on ne s’en lasse pas, elles nous étonnent ou nous réconfortent chaque jour passant. Souvent aussi, il y a une histoire particulière liée au contexte de leur acquisition, une histoire faite d’efforts en général, ce qui ajoute du sel à leur contemplation ! Par exemple j’ai acheté un grand Moke en Floride car c’est probablement la plus ancienne scène historique de Mobutu que nous connaissons peinte par cet artiste. J’ai quatre œuvres de Thomas Mukarobgwa que j’aime beaucoup, un des premiers peintres et sculpteurs acheté par le MOMA au début des années 60. Marcel Gotène aussi est très largement sous valorisé même si une fondation s’est créée en République du Congo. Sans oublier le Sénégal avec par exemple une huile sur toile d’Amadou Sow de 1973 ma dernière acquisition.
Asakan : Par quels biais avez-vous acheté ces œuvres de votre collection ?
Julien Marlier : Tous les biais ! Galeries, marchands, maisons de vente, anciens collectionneurs, particuliers qui postent une annonce, relations, je vous l’ai dit même dans un restaurant … je crois que j’ai tout fait.
Asakan : Votre regard sur le marché de l’art dans votre pays ? En Afrique ? Et dans le monde ?
Julien Marlier : En Europe, le marché de l’art moderne africain se consolide lentement même si on est loin du grand soir (à part quelques stars plutôt soutenues par la zone anglophone). Il n’est pas volatile comme le marché de l’art contemporain africain où l’on a vu des inconnus devenir des vedettes et disparaître aussi vite. Sur le moderne, on est plus sur une continuité, avec des collectionneurs solides qui cherchent de la qualité. C’est bon signe.
En Afrique, je ne connais pas bien le marché local. Bien entendu, comme en Europe, il me semble qu’il n’y a pas assez de collectionneurs d’art moderne africain avec des nuances selon les pays et quelques collectionneurs très pointus.
Je rêve d’une association qui permettrait d’échanger entre collectionneurs quel que soit le pays. Qui permettrait d’être plus fort pour appuyer des projets auprès des Institutions, partager, faire progresser la connaissance, et convaincre de nouveaux collectionneurs … Avis aux intéressés !
Asakan : Au-delà, quel est pour vous le rôle du collectionneur d’art aujourd’hui ? Faites-vous une différence entre le collectionneur et l’amateur d’art ?
Julien Marlier : Je pense que le collectionneur est engagé. Personnellement j’essaye de convaincre des institutions de montrer de l’art moderne africain, quasiment totalement occulté. Je suis heureux car je vais prêter une dizaine d’œuvres à l’un des plus grands musées d’art contemporain pour une exposition en 2025. J’espère que ce prêt va crédibiliser mon discours auprès d’autres institutions plus suiveuses, même si je sais qu’elles m’ont entendu. Cela me motive pour relancer mes actions !
Paradoxalement, quelques maisons de vente qui ont une visibilité internationale avec internet, nous ont montré en Europe des œuvres de qualité muséale ces dernières années. Piasa, en particulier.
J’achète aussi des livres, des anciens catalogues … car je ne les trouve pas forcément en bibliothèque. C’est l’autre pan du collectionneur que de chercher à accumuler des connaissances profondes, j’espère que ces ouvrages serviront un jour. Une de mes dernières acquisitions est un livre bien connu, mais très rare dans son édition de 1853, il s’agit du livre Esquisses sénégalaises dont l’auteur sénégalais, l’Abbé David Boilat était aussi un formidable graveur. Son livre comporte en effet, 24 gravures des populations du Sénégal de l’époque avec des portraits exceptionnels !
Asakan : Quel(s) conseil(s) donneriez-vous pour débuter une collection d’œuvres d’art ?
Julien Marlier : Me contacter sans hésiter !
La Rédaction.