Cinéma : Katanga, la danse des scorpions : Dani Kouyaté, un esthète de l’adaptation

Katanga, la danse des scorpions du réalisateur burkinabé Dani Kouyaté a remporté l’Etalon d’or de Yennenga de la 29e édition du Fespaco qui s’est tenue du 22 février au 1er mars 2025. Cette œuvre qui est une adaptation magistrale de Macbeth de William Shakespeare traite du pouvoir et de l’ambition avec une coloration toute africaine.

Dani Kouyaté brandissant son Etalon d’Or de Yennenga
Crédit Photo: FESPACO

L’appétit vient en mangeant. Ainsi, après avoir adapté la pièce La Légende de Wagadu vue par Sya Yatabéré du Mauritanien Ousmane Diagana, Dani Kouyaté a enjambé les continents et, mis à son menu une célèbre pièce quatre fois centenaire de Shakespeare : MacBeth. A travers Katanga, la danse des scorpions, Kouyaté travaille à révéler des pans de notre identité africaine par le prisme de l’œuvre d’un grand dramaturge. Si dans Sia, le Rêve du Python, il faisait une critique de la collusion entre pouvoirs politique et religieux, c’est le pouvoir de la langue qui fascine dans Katanga.

La preuve que les deux traditions (oralité et écriture), deux aires culturelles (africaine et européenne), la distinction générique entre théâtre et cinéma, loin de constituer un handicap sont bien maîtrisées.

Le synopsis du film nous situe sur les enjeux majeurs que sont la gouvernance politique et les intrigues y afférentes qui révèlent les femmes et hommes qui en ont la charge ou qui ambitionnent sa conquête. Il apparaît judicieux d’explorer succinctement quelques aspects du film comme la langue, les personnages, la théâtralité et les femmes.

Shakespeare parle mooré

Pour Katanga, Dani Kouyaté a choisi le mooré comme langue contrairement à Sia où le dioula était la langue. Les identités culturelles, ainsi que les espaces de leurs interactions ont toujours guidé Kouyaté, soucieux de donner à ses personnages l’outil linguistique pour s’exprimer au mieux. Le choix du mooré est une gageure pour le cinéaste, dont le défi est de faire s’exprimer les acteurs avec le plus de poésie et d’économie. Le génie de la culture est dans la langue et en la matière le pari d’aller au-delà de la traduction de Shakespeare pour donner libre cours à l’interprétation culturellement et linguistiquement ancrée de sa pièce est gagné. C’est du reste un des points clés qui constitue la force du film.

L’élégance de l’énonciation et le souci de dire peu pour dire plus habitent les personnages principaux, hommes comme femmes et se déteignent sur les plus jeunes. En la matière, il convient de saluer l’audace du réalisateur pour l’usage des proverbes.

Si de Sia à Katanga, on retrouve les personnages archétypaux de la bravoure, de la félonie et de l’ambition dévorante, des personnages comme Sidnooma, Gandaogo, Katanga, Pazouknaam, Bugum, Tengsoaba, on peut voir un effet de miroir entre Kerfa et Sidnooma surtout quand ce dernier crache ses quatre vérités au tyran lorsque la paranoïa de celui-ci culmine et exaspère de plus en plus ses serviteurs.

Il faut noter que dans Katanga, c’est la Femme, à travers ses différents avatars, qui est le moteur de l’intrigue et l’accélérateur de l’histoire soit parce qu’elle pousse les hommes à l’action ou fait montre de bravoure en défiant le tyran à l’instar de l’épouse de Bugum, soit elle est directement la principale actrice du changement comme Pognéré ou la multitude de femmes «rebelles» sous la conduite de Soubila et déterminées à en découdre avec Katanga. C’est leur marche de protestation qui est un prélude au renversement du tyran Katanga. Comme quoi, elle est le logiciel central qui programme le devenir de nos sociétés…

Par ailleurs, l’anachronisme assumé de faire se côtoyer l’Afrique anté-coloniale et l’époque contemporaine avec des sofas juchés sur les motos à la place des chevaux, les mitraillettes à la place des mousquets et des lances, tout cela participe à donner au film, son caractère atemporel.

En outre, le caractère atemporel des événements de Katanga, la danse des scorpions, lui donne une valeur de conte, un élément culturel reconnu aux civilisations de l’oralité comme aux détenteurs de l’écriture. Ils confirment que quel qu’en soit le lieu ou le temps, l’exercice du pouvoir est assujetti à des principes quasi-universels.

C’est ce qui rend Macbeth accessible aux hommes et femmes de Ganzurgu.

Un supplément de théâtre sur le film

Dani Kouyaté est un cinéaste de l’adaptation du texte dramatique, c’est dans ce processus de transmutation du texte en image qu’il excelle. Ici comme dans Sya, le rêve du Python, il adopte une esthétique théâtrale tant dans le jeu parfois emphatique des comédiens que dans le recours au caractère métonymique ou symbolique de l’objet au théâtre comme le choix de montrer quelques éléments pour en suggérer un grand nombre.

Ainsi en est-il de la marche des femmes composée d’une vingtaine de femmes pour suggérer une foule immense sans même recourir à la possibilité de trucage.

Le film privilégie parfois aussi des tableaux statiques sans beaucoup de profondeur comme si la caméra filmait une scène de théâtre. Il y a très peu de profondeur de champ comme sur une scène de théâtre et  les personnages viennent à l’avant-scène quand vient le tour de leur réplique. Très peu de champ contre champ dans le souci de préserver sans doute l’essence théâtre du texte. Katanga réussit à construire un récit atemporel et d’une grande actualité en faisant le choix d’une esthétique théâtrale non seulement pour rendre justice au texte de Shakespeare mais aussi pour faire la différence avec les films qui ont seulement misé sur la puissance de l’image. En effet, en plus du supplément de théâtre, il y a le choix du noir et blanc et donc le refus de la polychromie qui atténue la force d’aimantation de l’image pour laisser le spectateur se focaliser sur le récit et la langue.

Katanga a coûté plus d’un demi-milliard de nos francs mais sans ses arrangements esthétiques, il aurait fallu le financement d’un blockbuster. Il faut dire qu’au cinéma, les grands créateurs sont ceux qui fondent une esthétique sur la contrainte financière.

Dani Kouyaté remporte l’Etalon d’or en réussissant l’adaptation d’un classique du théâtre sans lui faire perdre son âme théâtrale tout en lui conférant une dimension cinématographique. Ceci est la marque des grands cinématographes, ils enrichissent les œuvres littéraires qu’ils adaptent. A l’instar de Djibril Diop Mambéty, d’Akira Kurosawa et de Stanley Kubrick.

Saïdou Alcény BARRY

Jean OUEDRAOGO (College of the Holy Cross, USA).

Article publié pour la première fois dans le numéro 11 288 du quotidien burkinabé L’OBSERVATEUR PAALGA du jeudi 6 mars 2025.

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