Desirey Minkoh : « Le Bwiti, c’est le rite initiatique fédérateur du Gabon. Car chaque ethnie gabonaise a des initiés du Bwiti. C’est l’une de nos meilleures identités culturelles, sinon la meilleure. »

Le travail de Desirey Minkoh, photojournaliste, explore la notion de spiritualité africaine, le lien entre les êtres et les dieux, le vivant et l’inanimé, l’homme et la nature, comme une obsession sans cesse recommencée mais toujours renouvelée et singulière. Sa série « Esprits du Bwiti », qu’il présente dans son intégralité au Grand Théâtre National Doudou Ndiaye Coumba Rose de Dakar dans le cadre des OFF de la Biennale de Dakar, invite le spectateur à se plonger dans le monde du Bwiti, l’un des rites les plus anciens et les plus mythiques de l’Afrique Centrale.

Entretien avec un photographe sensible et engagé sur les enjeux culturels qui pèsent sur l’Afrique et le monde.

Portrait de Desirey Minkoh Crédit : DR.

Asakan : Vous êtes connu comme le photographe du Bwiti. C’est quoi pour vous le Bwiti ?

Desirey Minkoh : Le Bwiti, c’est le rite initiatique fédérateur du Gabon. Car chaque ethnie gabonaise a des initiés du Bwiti. C’est l’une de nos meilleures identités culturelles, sinon la meilleure. L’initiation au Bwiti se déroule en deux temps : le premier dans une partie sacrée de la forêt pour terminer dans un temple appelé « Mbandja ». C’est là que se réalise la principale connexion entre le nouvel initié, les ancêtres et le cosmos à travers la plante purificatrice Iboga. Dans le Bwiti, on chante, on danse au son  de cloches, de la harpe sacrée et du tam-tam  autour de deux poteaux : Nzambe Kana pour le masculin et Disumba pour le féminin.


Asakan : Comment est née votre passion pour le Bwiti et la photographie ?

Desirey Minkoh : Je suis issu d’une famillequi compte parmi les premières familles d’ethnie Fang initiées au Bwiti dans la province de l’Estuaire. C’est ma grand-mère qui m’a initié à l’âge de 11 ans. J’ai donc naturellement grandi ensuite dans ce milieu.

Pour la photographie, j’étais au lycée. Par le pur hasard, mon frère achète un appareil photo avec sa bourse d’étudiant. Il me le confie un peu de temps après juste pour le prendre en photo sur le boulevard Triomphal Omar Bongo à Libreville, après m’avoir montré sommairement comment ça marche. Je ne lui ai plus jamais rendu l’appareil à partir de ce jour-là. En 1996, je suis une formation en photojournalisme lors de la seconde édition des Rencontres de Bamako. Quand je rentre au pays, je n’ai plus cherché très loin et j’ai décidé de me concentrer sur le sujet personnel mais aussi culturel et patrimonial qu’est le Bwiti.


Asakan : De quelle(s) manière(s) l’avez-vous traité ?

Desirey Minkoh : Je l’ai traité sous deux angles différents. Tout d’abord à travers la série « Clin d’œil sur le Bwiti » que j’ai réalisée en 1999. Mais lors de mon exposition à l’Institut français de Libreville, anciennement Centre culturel français, j’ai remarqué que les spectateurs étaient plus attirés par les couleurs des photos, le folklore que par l’aspect spirituel, comme si la couleur déréalisait mon sujet. Alors, pour ma deuxième série, Esprits du Bwiti, j’ai fait le tour des temples du Bwiti et j’ai décidé de restituer ces photos en blanc et noir pour montrer combien ce rite est vivant, spirituel et mystique. Les photos ont été  prises la plupart de temps avec comme seul éclairage, une torche indigène pendant les rituels sans aucune mise en scène.


Asakan : Justement c’est cette dernière série que vous présentez au Dak’Art 2024 ?

Desirey Minkoh : Oui, effectivement. Je participe actuellement avec six photos de la série « Esprits du Bwiti » à l’exposition du « Collectif Piloha »  qui regroupe 16 artistes internationaux au Point E. C’est une exposition transdisciplinaire et pour moi, c’était important d’être dans cette sélection. L’autre exposition, « Esprits du Bwiti Tour » présentera, au Grand Théâtre, toute la série (une trentaine de photos), en tant qu’invité spécial du Grand Théâtre National Doudou Ndiaye Coumba Rose de Dakar. Le vernissage est prévu pour ce jeudi 28 novembre 2024 à partir de 18h.

Le plus que j’ai apporté, puisque le Bwiti est nouveau pour ceux qui ne sont pas Gabonais, nous avons essayé d’y faire reconstituer un « mbandja ». Nous avons également fait venir du Gabon le maître initiateur Assossa qui vous fera découvrir en live les spécificités d’une cérémonie bwitiste.


Affiche de l’exposition de Desirey Minkoh au Grand Théâtre.
Vue de la présentation des Photographies de Desirey Minkoh
à l’espace Green Wall au Point E dans le cadre de l’exposition OFF Piloha !

Asakan : Quand vous dites « Esprits du Bwiti Tour », c’est-à-dire ?

Desirey Minkoh : J’ai voulu mettre mon art au service de la promotion de la spiritualité et de la culture de mon pays ainsi que de l’Afrique. Dans ce sens, j’ai été finaliste en 2023 du Luxembourg Art Prize, un concours prestigieux d’art contemporain organisé par la Pinacothèque, musée d’initiative privée situé au Grand-Duché. Dans la même année, j’ai été lauréat dans la catégorie du photojournalisme au concours de photographies du magazine français PHOTO.  A la suite de ces deux reconnaissances, j’ai entamé « Esprits du Bwiti Tour » par l’Institut français de Libreville. Après quoi, j’ai été invité par la Fondation Houphouët Boigny à Yamoussoukro et une galerie d’art à Abidjan. Nous, voilà à Dakar et dans une semaine, on sera aux 16e Rencontres de Bamako.


Asakan : Par rapport à la pratique même de la photographie, pouvez-vous nous en dire plus ?

Desirey Minkoh : La forme de photographie que j’utilise au quotidien, c’est le photojournalisme. Je suis propriétaire de l’agence photographique, Afrikimages, la première banque d’images de l’Afrique Centrale. A la fonction publique, je suis contractuel de l’Etat du Gabon en tant que photographe officiel. Je couvre aussi l’actualité au niveau national et continental. J’ai notamment été photographe de l’Agence France Presse (AFP) pendant 07 ans au niveau de l’Afrique centrale et de l’Ouest. Mon combat à mon petit niveau, c’est d’essayer d’apporter une autre image que celles que nos collègues occidentaux montrent de l’Afrique qui n’est pas qu’une image de guerre, de famine, de misère. Et si je suis rentré dans la photographie d’art, c’est pour montrer qu’on ne peut pas aller loin si on ne sait d’où on vient. En un mot, éveiller les consciences de nos jeunes sœurs et frères africains qui, par la mondialisation, sont en train de se perdre. La photographie c’est la mémoire des yeux. Le temps fuit, la photographie le retient. Nous sommes les témoins privilégiés de notre histoire, les historiens des temps modernes.


Asakan : Qu’est-ce qui vous anime dans l’acte de création ?

Desirey Minkoh : Dans la création, je choisis les sujets que je traite. Et quand vous choisissez bien votre sujet, l’inspiration artistique vient d’elle-même. Ce qui n’est pas le cas dans le photojournalisme qui reste très factuel même si notre regard et notre sensibilité impacteront dans notre prise de vues. De plus, l’acte de création est très motivant. J’aime cet instant où je me plonge dans le secret des temples, où je suis en contact avec les mondes ancien et présent.


Asakan : Des projets à venir ?

Desirey Minkoh : « Esprits du Bwiti » me prend encore un peu de temps. On a commencé un tour qui doit se poursuivre sur le continent africain, puis après l’Europe avant de se terminer aux Etats-Unis. J’ai également en projet d’autres séries qui vont naitre entre le Gabon, le Bénin, le Sénégal et la Côte d’Ivoire.


Asakan : Un mot de fin ?

Desirey Minkoh : Demander au public sénégalais et à tous les résidents étrangers à Dakar, s’ils ont le temps, de venir, au Grand Théâtre, découvrir le Bwiti du Gabon.

Exposition Esprits du Bwiti Tour

Du 7 novembre au 7 décembre 2024

Au Grand Théâtre National Doudou Ndiaye Coumba Rose, Dakar, Sénégal

Vernissage : Jeudi 28 novembre 2024 à 18h.

Plus d’informations :

            •          Son site internet : http://www.afrikimages.com

            •          Son Instagram : https://www.instagram.com/dminkoh

La Rédaction.

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