Presque 50 ans après la fondation de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), trois des pays fondateurs – le Mali, le Burkina-Faso et le Niger – ont manifesté, hier, la volonté de se retirer de ce regroupement régional qui a toujours eu pour objectif de promouvoir la coopération et l’intégration dans les domaines économique, social et culturel en vue d’aboutir à une union économique et monétaire par l’intégration totale des économies nationales des Etats membres.
Si l’organisation a connu beaucoup de succès dans son histoire dont les plus emblématiques sont à quelques exceptions près la libre circulation des personnes et des biens, la levée des barrières douanières sur certains produits entre les Etats Membres et notamment l’application du tarif extérieur commun, ses limites sont également et de plus en plus connues de tous. L’une de ces limites est, en occurrence, constituée par les troubles socio-politiques liés aux coups d’État, aux élections et modifications constitutionnelles. Ces troubles risquent aujourd’hui d’entraîner la plus vieille organisation sous régionale africaine dans les eaux troubles. Quid alors des populations, des artistes et des industries culturelles et créatives ?
Avec le départ du Mali, du Burkina Faso et du Niger, c’est près de 70 millions de personnes qui se retiraient d’un ensemble considéré jusqu’avant la chute du régime de Kadhafi comme un espace sûr et dynamique. Ce retrait de ces trois pays du traité commun va donc causer d’énormes turbulences à commencer par les entraves à la libre circulation des personnes et des biens. Dans ce registre, participer à Segou Art Festival, aux Rencontres de Bamako, à Wékré, à la Biennale de Sculpture de Ouagadougou, à la Biennale de l’Art Africain Contemporain de Dakar ou à la jeune Abidjan Art Week va coûter plus cher avec plus de formalités et d’efforts autant aux artistes et industries culturelles et créatives qui sont dans l’Alliance des Etats du Sahel (AES) qu’à ceux et celles qui seront sur le territoire de la CEDEAO. Il en sera de même pour acquérir ou déplacer des œuvres d’art d’un côté à l’autre en sus des taux d’imposition qui vont augmenter. Ce serait comme si on commerçait avec l’Europe ou les Etats-Unis alors que nous vivons dans des pays frontaliers.
Pour exemple : à chaque fois que vous vous déplacez de Dakar à Cotonou et vice versa et même si toutes vos pièces sont à jour, vous devez payer à chaque frontière entre 2 000 et 10 000 francs CFA selon que vous avez un passeport CEDEAO ou CEMAC (Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale). A cela, s’ajoutent 4 à 7 checkpoints dans chaque pays où vous devez payer entre 1 000 et 5 000 francs CFA par checkpoint, exception faite en ce qui concerne le Bénin et le Sénégal. Ce n’était donc pas le top niveau de l’intégration mais ça, c’était avant car nul doute qu’il faudra s’attendre à ce que les frais de rançonnement routier doublent ou triplent d’ici un an si le retrait des trois pays est acté. Au niveau du transport aérien, les rançonnements sont inexistants. Cependant il va falloir s’attendre à faire face à plus de lourdeur administrative dans la préparation d’un voyage.
Ce qui se dessine ainsi, c’est une baisse d’attractivité des trois pays sur le plan artistique et culturel parce que la mobilité des artistes et des industries culturelles et créatives d’économies importantes dans l’art en zone CEDEAO comme le Nigeria, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Ghana et dans une moindre mesure le Bénin se trouvera de facto réduite dans l’AES. Les rencontres, les formations, les échanges, entre artistes et industries culturelles et créatives compromis de part et d’autre, et particulièrement pour les acteurs artistiques et culturels maliens, burkinabé et nigériens sans compter l’impact sur les financements régionaux.
Certains financements sont domiciliés au Mali et au Burkina Faso pour toute la zone CEDEAO. D’autres financements partent de Dakar, d’Abidjan, d’Accra ou d’ailleurs pour exclusivement les artistes et industries culturelles et créatives résidant sur le territoire de la CEDEAO. On imagine clairement sur ce point que les répercussions seront aussi plus importantes côté AES que côté CEDEAO.
Toutefois, les tractations débutent à peine et il est souhaitable que les deux parties trouvent des solutions négociées qui permettent à l’organisation régionale de survivre à ces turbulences. Après défaillance sur défaillance ces dernières années, il est, en effet, nécessaire que la CEDEAO revienne à ce qui a fait sa force : une institution fondée sur des valeurs, des défis communs et dont les règles sont les mêmes pour tous.
Si cela advenait, il serait surprenant que le Mali, le Burkina Faso et le Niger ne renoncent pas à leur projet de retrait. Dans le cas contraire, quand ta femme te quitte ou une de tes femmes te quitte, elle t’ouvre les yeux sur tes insuffisances et tu travailles alors à devenir une meilleure personne au lieu de te morfondre sur le passé.
Quant aux militaires, on ne le dira jamais assez, leur place est dans les casernes.
Dans cette renaissance à venir ensemble et ou de part et d’autre, puisse l’art et la culture ne plus être les parents pauvres.
Olaréwadjou Elvis LALEYE.