La Case Nomade Gallery présente, du 1er mars au 30 avril 2025, le travail de l’artiste franco-algérienne Hakima El Djoudi dans le cadre de la restitution de la résidence « Inspiration Bénin : Au cœur des mondes africains » pour laquelle elle a été l’un des artistes sélectionnés.

Bien que le gouvernement actuel de la République du Bénin fait un effort soutenu pour rattraper plus de 60 ans de retard dans la conservation et la valorisation de son patrimoine culturel passé et présent, un pan important de son histoire d’avant la colonisation reste encore à documenter, notamment en termes de photographiques. C’est le moins ce que l’on puisse dire du manque de fonds photographiques aux archives et à la Bibliothèque de l’école du Patrimoine constaté par l’Artiste franco-algérienne Hakima El Djoudi à l’occasion de sa résidence artistique d’un mois à Porto-Novo dans le cadre du programme « Inspiration Bénin : Au cœur des mondes africains ».

Cela s’explique sans doute par le fait que seul le colon pouvait posséder un appareil photographique et donc faire de la photographie à cette époque-là. Mais ce n’est pas une raison pour que l’Etat Béninois ne puisse pas acquérir ces photographies d’archives, quitte à donner la chance à des artistes de se réapproprier cette histoire. C’est ce qu’en tout cas, grâce à l’Ambassade de France au Bénin et à l’Institut français de Cotonou, Hakima El Djoudi a choisi de faire en se rapprochant de la collection de Marie-Cécile et Lionel Zinsou.
Le résultat : une plongée dans l’histoire des premières années du Dahomey d’hier et du Bénin d’aujourd’hui.
Rendre aux colonisés sa dignité
En 1894, le dernier grand royaume qui s’opposait encore à la France sur le territoire de l’actuel Bénin tombe. Les troupes coloniales commencent à prendre possession du territoire, surtout au Sud du pays. Fier vainqueur, le colon n’hésite pas alors à photographier à-tout-va pour documenter la vie dans ce territoire et servir d’argument à son entreprise. En s’immergeant dans un ensemble de photographies de 1900 à 1920 détenu par la Fondation Zinsou, la plasticienne Hakima El Djoudi, née en 1977 et diplômée des écoles des Beaux-Arts d’Angoulême et de Grenoble, prend à contrepied cette démarche.
A l’aide de peintures sur isorel, elle a choisi de représenter des personnages en sujets de cette époque. « En exhumant ces visages anonymes et figés dans un regard imposé par l’histoire, Hakima El Djoudi », explique Cédric Fioretti Clet, directeur adjoint du Musée de Vence qui a écrit le texte de l’exposition, « leur redonne une présence tangible, une dignité retrouvée. Son geste pictural, à la fois délicat et puissant, désamorce la charge idéologique de l’image originelle pour en révéler une autre lecture, débarrassée des assignations imposées par le regard colonial. ».
Les titres qui accompagnent ces œuvres sont, à propos, assez illustratifs : « La Cène », « Femme en Bleue », « Nagot », « La jeune femme », « Petit Soldat », « La Princesse », « Legba et Beta », « L’Interprète », « les Porteuses d’eau », « La Femme Mère ».
Au-delà, l’artiste a choisi aussi de revisiter le code vestimentaire de l’époque et ainsi de donner à ces sujets (vendeuses d’akassa, porteuses d’eau, jeunes filles, princesse, laquais, soldats) plus d’élégance, de modernité et une vie plus longue que la perspective coloniale l’aurait imaginée en apportant des couleurs là où il n’avait que du blanc et noir et en semant de l’or par petits bouts, des bijoux des femmes jusqu’aux boutures de cannes à sucre…


Vue de l’exposition Crédit Photo: Sophie Négrier
Dénoncer le colonialisme
La colonisation n’est pas juste un système qui broie l’homme, c’est un système de domination où la finalité était le profit en espèces sonnantes et trébuchantes et de billets de banque craquants chers au capitalisme. Et, la plus surprenante œuvre de cette exposition est justement l’installation « Constellation » d’Hakima El Djoudi. Car, avec cette installation composée de boutures de cannes à sucre et de 25 billets de 5 000 francs CFA soigneusement pliées et ordonnées dans un cadre précis telle une armée de fantassins à la solde de leur commandant, l’artiste illustre l’histoire de la canne à sucre en tant que symbole de conquête et de domination.
Pendant des siècles, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants ont été déportés vers les Amériques et réduits en esclavage pour couper à la main la canne à sucre dans de vastes plantations appartenant aux Occidentaux afin de produire du sucre exportés en Europe et en Orient. Cette culture a été précurseur de la mondialisation et des vastes paysages dénaturés au nom de l’argent.
Dans cette installation minimaliste et poignante, Hakima, dont le corpus d’œuvres prend en compte la vidéo, le dessin la peinture et l’installation, réfute avec subtilité le discours sur les bienfaits de la colonisation en faisant le parallèle entre esclavage et colonialisme, maux pour lesquels les conséquences contemporaines sont encore nombreuses au Bénin, en Afrique et dans les Caraïbes.


Vue de l’exposition Crédit Photo: Sophie Négrier
Il faut donc espérer que ce travail de mémoire puisse rester dans la collection de l’Etat du Bénin pour que les générations présentes et futures en bénéficient. Pourquoi pas dans le cadre du futur Musée des Arts Contemporains de Cotonou ?
Restitution Résidence Inspiration : Au cœur des Mondes Africains d’Hakima EL DJOUDI
Du 1er mars au 30 avril 2025
Case Nomade Gallery
Quartier Kpota Sandodo, 20m du Musée International du Vodoun
Plus d’infos : casenomade.com
La Rédaction.
Dans le cadre de l’exposition, la Case Nomade Gallery organise une conversation autour des recherches d’Hakima EL DJOUDI le samedi 29 mars 2025 de 16 h à 19 h dans l’enceinte de la galerie.
Le nombre de places est limité.