Depuis la disparition subite de Koyo Kouoh alias Madame Koyo, de Dakar à Cotonou, de Cape Town à Lagos, d’Abidjan à Paris, de Venise à New York et même jusqu’à Sao Paulo, le monde de l’art a salué unanimement une voix majeure de l’art contemporain africain, une immense perte pour l’art, pour l’Afrique, pour le monde.

Photo: Elise Fitte-Duval
Une perte immense…
« Sous un abord parfois distant et dur, Koyo Kouoh cachait une grande simplicité et beaucoup d’humour. Elle était avide de voir, de savoir, de connaitre. Elle était très fine observatrice et très lucide. Quelle amitié attentionnée, quel humour, quelle générosité aussi. Elle m’avait choisi pour siéger parmi les 3 ou 4 administrateurs de RAW. », a confié à asakan.art, Sylvain Sankalé, ancien avocat, collectionneur et critique d’art des plus respectés sur la scène artistique dakaroise.
Pour Aude Christel Mgba, historienne de l’art et commissaire d’exposition d’origine camerounaise vivant et travaillant en Hollande, la seule chose qu’elle peut dire maintenant : « She is a nice hugger and she had a beautiful lighting smile. »
Comme on peut le voir sur le magnifique cliché à la urne de l’article ; cliché pris en 2011 par la photographe martiniquaise installée au Sénégal Elise Fitte-Duval : « J’étais en visite à RAW. Elle était là au même moment et quoique intimidée par sa prestance naturelle, je l’ai trouvée impressionnante et lui ai demandé si elle voulait bien m’accorder une séance de prise de vues. Elle a accepté volontiers en toute simplicité. »
Pour l’Italien Mauro Petroni, son vieil ami et co-fondateur du Partcours, une manifestation artistique qui se tient annuellement autour des galeries et divers autres espaces d’art de Dakar : « Difficile » de se prononcer maintenant. « La douleur, ajoute-t-il, parle en silence ».
Même son de cloche du côté de l’Espace Trames, sis dans la capitale sénégalaise, qui n’a pas pu exprimer sa peine autrement qu’en nous partageant les 6 photos que voici en réponse à notre demande de témoignages et où on est plongé dans l’ambiance d’un vernissage dont Dakar a le secret avec en guest star : Koyo Kouoh.






Koyo Kouoh/Espace Trames Photos: Khalifa Hussein
Le Musée des Civilisations Noires a souligné de son côté que : « Comme elle le faisait souvent, Koyo est venue pendant le mois d’avril dernier embrasser Dakar avec la même fougue malgré la charge de commissaire de la Biennale de Venise 2026 qui pesait sur ses épaules. Et, ignorant la marche sournoise de la maladie, elle a rendu jusqu’au bout, au détour de formules, de regards et de gestes fins et francs, un culte à l’amitié et à la créativité. »
« J’ai rencontré Koyo à Dakar il y a 20 ans. Koyo était une sœur, une partenaire dans l’esprit, le rire et même la danse. Nous adorions danser ensemble ! Mais elle était surtout mon mentor, avec son esprit visionnaire particulier, animé par un sens aigu de la création. Et c’est pour cela qu’elle a été une source d’inspiration et une boussole… Son désir inépuisable d’aider les artistes à concrétiser leurs idées a béni tant d’entre nous qui ont eu l’occasion de la connaître et de travailler avec elle. Sa disparition est une grande perte pour nous tous… », déclare tristement, depuis Paris, le plasticien franco-algérien Kader Attia.
L’histoire de Koyo Kouoh avec son collègue français d’origine bissau-guinéenne Nu Barreto a, quant à elle, commencé lors de deux grandes premières : « Nous sommes en 2018 à Marrakech/Maroc. C’était la première édition de la 1:54 Art Fair, mais aussi, l’inauguration du Macaal. Tout le gratin du monde de l’art s’était donné rendez-vous au nouveau musée. Au début de l’après-midi, je venais de rencontrer sur le stand de la Galerie LouiSimone Guirandou (avec qui je collaborais) pour la première fois, celle qui est (jusqu’à présent) ma galeriste; Nathalie Obadia. La rencontre s’était soldée d’une invitation à rejoindre sa galerie. Me promenant dans la foire, on s’est croisé Koyo Kouoh et moi. Après des longues conversations, elle m’a proposé d’aller ensemble au musée qui s’inaugurait à la fin de journée. Nous avons échangé durant le trajet, de tout et de rien. Le Macaal était inondé de voitures de toutes marques, taxis compris. Stationner était de la mer à boire. Mais nous avons pu franchir toutes les barrières ensemble, son ami devant. En passant sur un chemin bétonné qui menait directement au musée, nous avons entendu la voix de de Nathalie Obadia, me disant : « il est là mon artiste. On se voit à Paris ? »
Koyo : Tu l’as connue où ?
Moi : On s’est rencontrés aujourd’hui à la foire et elle a aimé mon travail et m’a invité à rentrer dans sa galerie.
Koyo: Quoiiii ?! Je vais te donner un conseil, c’est là il faut être, et il faut l’écouter et travailler avec elle.
Après quoi, nous sommes rentrés au musée où la fête battait son plein et nous nous sommes perdu dans la foule qui avait envahie l’espace. Des années après, quand on se croisait, elle me disait toujours: « seul le travail compte ». Merci Koyo ! »
Dans le train qui revient de Bâle en Suisse où il est allé présenter ses condoléances à la famille éplorée, son ami artiste et cinéaste français Éric Baudelaire, très ému, nous a fait savoir que : « Tout est toujours allé très vite avec Koyo. Entre le moment où on la rencontre et celui où elle devient une amie pour la vie, il ne s’écoule que quelques jours. Un clin d’œil plus tard : adoption mutuelle, la famille s’agrandit. Le surlendemain, elle débarque à la maison avec une palanquée d’amies, parce qu’elle n’a pas le temps de voir tout le monde — alors elle improvise trois dîners en un, chez toi. Tu rajoutes des sièges autour de la table — et autant de nouvelles amitiés dans ta vie. À ce stade, tu as déjà un nouvel état civil, toujours précédé d’un adjectif possessif : Rasha est devenue “ma Rashou”, d’autres sont devenus (sans forcément le savoir) ses futurs époux. Moi, j’ai été rebaptisé “mon Abu Jibril”.
Au travail aussi, les choses vont vite. Entre l’idée, esquissée en quelques phrases, et ton recrutement dans l’équipe pour construire le programme, l’exposition ou l’institution — quelques secondes à peine. Elle comprend vite, elle fait confiance à l’instinct. Ses outils de travail sont fulgurants : l’amitié, l’amour et la générosité — et elle se trompe rarement.
Quelques jours. Quelques heures. Quelques secondes à peine après la première inquiétude sérieuse, elle était déjà partie. Mais peut-on vraiment dire qu’elle est partie si vite ? Si l’on met bout à bout toutes les rencontres, les projets, les événements, les écosystèmes qu’elle a créés, il y avait de quoi remplir trois vies entières. En écoutant les cascades de témoignages depuis sa mort foudroyante — des paroles venues des quatre coins du globe, pour dire comment Koyo a changé des vies, rempli des cœurs de force, d’émotion et de lumière — on comprend qu’elle a vécu de multiples vies, de façon concentrée, intense et puissante.
Elle parlait souvent de ralentir, mais l’urgence des combats qu’elle devait mener ne lui a pas laissé ce luxe. L’œuvre, les luttes et l’amour de Koyo se prolongent dans nos vies. Nous sommes toutes et tous contaminé·e·s — par sa façon d’aimer, de lutter, de créer. Quelle chance nous avons eue de la croiser ! »
… constatée aussi sur les réseaux sociaux
Aux premières heures de sa soudaine et brusque disparition, le Zeitz MOCAA a annoncé sur ses réseaux avoir « reçu la nouvelle aujourd’hui au petit matin du décès soudain de Koyo Kouoh, notre bien-aimée directrice exécutive et conservatrice en chef ». « En signe de respect », la programmation du musée a été « suspendue jusqu’à nouvel ordre ».
Dans un communiqué également empreint d’émotion, la Biennale de Venise a salué une « disparition soudaine et prématurée » et rappelé que la présentation du titre et du thème de cette 61ᵉ édition, que Koyo Kouoh préparait avec passion, était prévue le 20 mai. « Elle a travaillé avec passion, rigueur et vision […]. Sa disparition laisse un vide immense dans le monde de l’art contemporain et dans la communauté internationale d’artistes, de curateurs et de chercheurs qui ont pu apprécier son engagement intellectuel et humain. » L’ensemble de l’institution « s’associe avec affection à la famille, aux amis et à tous ceux qui ont partagé avec elle ce chemin de pensée critique et de recherche ».
La Première ministre italienne Giorgia Meloni a exprimé un « profond chagrin » et le maire de Venise, Luigi Brugnaro, s’est dit « profondément choqué et attristé » par la nouvelle. « Sa figure n’était pas seulement celle d’une grande artiste et d’un esprit brillant sur la scène internationale, mais aussi celle d’une femme capable d’écouter, de construire des ponts entre des cultures lointaines. Nous avions accueilli avec enthousiasme sa nomination, certains qu’elle apporterait une vision nouvelle et créative. »
« C’est avec une grande consternation », a déclaré quant à lui le ministre italien de la culture Alessandro Giuli, « que j’ai appris le décès prématuré de Koyo Kouoh, commissaire de la 61ème Exposition internationale d’art de la Biennale de Venise qui se tiendra l’année prochaine. Sa nomination avait été accueillie avec enthousiasme dans le monde entier, et les attentes étaient grandes quant à ce qu’elle aurait pu offrir avec sa passion, ses connaissances et son professionnalisme dans la mise en place de l’un des événements majeurs pour l’art contemporain au niveau mondial. En ce moment de profonde tristesse, je tiens à exprimer à ses proches et à la Biennale di Venezia mes condoléances et la disponibilité du ministère de la culture ».
Deuxième personne africaine et première femme du continent africain à diriger la légendaire Biennale de Venise après le regretté critique d’art nigérian Okwui Enwezor, elle était très connue au Sénégal où la ministre de la culture, Khady Diène Gaye, a déclaré que « Koyo Kouoh manquera énormément au Sénégal qu’elle aimait tant ».
Fatima Bintou Rassoul Sy et toute l’équipe du RAW Material ont rendu hommage à leur directrice et fondatrice en qui elles voyaient « une véritable force, une source de chaleur, de générosité et d’intelligence. », qui « a toujours affirmé que les personnes étaient plus importantes que les choses ». Elles ressentent « aujourd’hui son absence de manière profonde. »
Amadou D. Diaw, fondateur du Musée de la Photographie de Saint-Louis du Sénégal (MuPho) a aussi témoigné sur son compte Instagram : « Il est impossible de mettre en mots toute la richesse de l’amitié qui s’est tissée au fil du temps. Nos premières rencontres autour de l’organisation de conférences pour mes étudiants ont marqué le début de notre amitié. Tu as été témoin de mes premiers pas à l’ISM (Institut Supérieur de Management de Dakar). Puis vint l’épopée de RAW, un projet qui a non seulement mis en lumière tes aspirations pour l’Autre mais a également été le reflet de ta volonté de transformer un rêve en réalité. Merci pour les lumières posées sur le MuPho. L’Autre, toujours donner à l’Autre, toujours Elever l’Autre. C’était ta mission. »
Du côté des Rencontres de la photographie de Bamako avec laquelle elle a collaboré à plusieurs reprises, on a sorti une photo de Koyo Kouoh, jeune, pleinement vivante, le sourire grand aux lèvres et le regard plein de malices.

Photo : Kal Touré.
Impossible de passer outre aussi le témoignage de l’artiste sud-africain Trevor Stuurman : « Elle était ma mère dans l’art et dans la vie. Mama Koyo aimait à haute voix, avec audace et sans s’excuser. Elle voyait les gens pleinement – non seulement pour ce qu’ils étaient, mais aussi pour les possibilités infinies qu’ils pouvaient devenir. C’est le cadeau qu’elle m’a fait. Elle m’appelait Baby Boy. Je l’appelais Mama Koyo. Nous partagions plus que de l’affection – nous partagions un lien cosmique. Tous deux Capricornes, elle me rappelait souvent que nous étions des GOAT – les plus grands de tous les temps. Et elle l’était vraiment. Une géante en termes de vision. Une force dans le monde. Une mère pour beaucoup. Il n’y a pas si longtemps, Mama Koyo m’a convoquée au Cap pour la photographier chez elle pour le Financial Times, dans un numéro édité par Phoebe Philo. Cette journée a été magique. Nous l’avons passée lentement, avec soin, à parcourir sa maison comme des archives vivantes – en dénichant ses œuvres d’art, ses trésors et ses souvenirs préférés. Chaque objet, placé avec amour, renfermait une histoire, un souvenir, une leçon. Être invitée dans cet espace sacré était plus qu’une mission – c’était un cadeau que je garderai pour toujours.
Être aimé par Mama Koyo, c’est être défendu avec ardeur. Elle a nourri férocement. Elle a protégé, guidé et créé de l’espace – pas seulement pour moi, mais pour des générations de créatifs africains, afin qu’ils puissent marcher avec audace vers leur but. Son héritage ne réside pas seulement dans les institutions qu’elle a dirigées ou les scènes qu’elle a éclairées, mais dans les vies qu’elle a touchées, la confiance qu’elle a restaurée, les vérités qu’elle a rendues indéniables. Dans une conversation publiée la semaine dernière dans le Financial Times, elle a fait part des réflexions suivantes : « Je crois en la vie après la mort parce que je suis issue d’une éducation noire ancestrale où nous croyons en des vies et des réalités parallèles. Il n’y a pas de « après la mort », « avant la mort » ou « pendant la vie ». Cela n’a pas beaucoup d’importance. Je crois aux énergies – vivantes ou mortes – et à la force cosmique. » Je t’aime infiniment, Mama Koyo – dans cette vie et dans la suivante. »
« Il est facile de prendre pour acquis les chemins tracés avant nous et de ne pas rendre à nos prédécesseurs la place qui leur revient. », a précisé pour sa part sur ses réseaux sociaux l’artiste sénégalaise vivant et travaillant à Helsinki en Finlande, Anna Karima Wane, avant de continuer en disant que : « Tata Koyo était une pionnière. Elle a rendu le monde plus grand pour moi et pour d’innombrables autres personnes. Elle m’a donné mon premier stage dans les premiers jours de RAW Material Company et a toujours été un soutien dans ma vie et ma pratique. Elle est l’une des raisons pour lesquelles j’ai un cabinet. Elle a rencontré un enfant avec de grands rêves et ne s’est jamais moquée d’eux. Au contraire, elle me poussait et m’encourageait à rêver plus grand. Tu vas nous manquer, Tata, mais tu vis à travers les RAW Amazones ! ».
Dans un long pavé jeté sur Instagram, le cinéaste camerounais Jean-Pierre Bekolo s’interroge tout haut, en ce qui le concerne, sur qui a tué Koyo Kouoh. « La mort soudaine de Koyo Kouoh, première femme africaine nommée commissaire de la Biennale de Venise 2026, survenue dans la nuit du 9 mai 2025 à l’âge de 58 ans, est un crime. Un crime de la nature, un crime de la maladie, un crime du bon Dieu peut-être, mais surtout un crime contre nous tous.
Koyo, directrice exécutive et conservatrice en chef du Zeitz Museum of Contemporary Art Africa au Cap depuis 2019 et fondatrice du RAW Material Company à Dakar, était un symbole contre les courants conservateurs qui cherchent à restreindre la diversité culturelle et artistique, et s’opposent au changement et à l’inclusion. Sa disparition soudaine, à un moment où elle s’apprêtait à dévoiler le thème de la Biennale le 20 mai (jour de la fête nationale de son pays, le Cameroun), soulève des interrogations parmi les artistes, curateurs et intellectuels qui partageaient sa vision d’un art engagé et représentatif de la diversité humaine.
Parce que la perte de Koyo Kouoh laisse un vide dans la communauté artistique mondiale face aux adeptes décomplexés du trumpisme contre le wokisme, nous devons trouver une manière d’exprimer aux auteurs de cette mort, que ce soit le bon Dieu ou quelqu’un d’autre, notre colère. Cette mort ne saurait passer sans ce qu’on appelle chez nous le « nsili awu ». Dans la tradition Beti du Cameroun, le « nsili awu » est le « questionnement de la mort ». Parce qu’on ne meurt pas à un tel moment et de manière si inattendue. Nous nous questionnons tous en ce moment, nous cherchons tous à comprendre non seulement les causes physiques du décès, mais aussi ses implications spirituelles, sociales et politiques.
La mort de Koyo Kouoh nous pousse à une forme de paranoïa qui nous fait soupçonner les obstacles systémiques qui entravent la progression des voix africaines dans les sphères culturelles internationales. La mort de Koyo est une tentative de nous arrêter, nous tous qui sommes de cette lignée, de cette génération qui avons identifié notre mission et avons décidé de l’accomplir. Nous devons donc tous refuser cette mort, parce que cette mort nous tue tous. Koyo ne va pas mourir. »
Koyo ne peut vraiment pas mourir. Pour ce qui concerne la prochaine Biennale de Venise, c’est déjà du moins le vœu formulé par beaucoup d’acteurs du monde de l’art contemporain africain parmi lesquels le galeriste et curateur malien Igo Diarra qui espère : « que la prochaine Biennale de Venise maintiendra son nom comme commissaire, bien sûr en étoffant l’équipe avec ses proches collaborateurs dont elle a su, merveilleusement insuffler une partie de son génie. », en rappelant à titre d’exemple que « Le FESPACO a maintenu Souleymane Cissé président du jury, malgré sa disparition ».
En attendant, le RAW Material Company ouvre ses portes jusqu’à nouvel ordre, tous les jours, de 11h à 18h, pour les personnes qui voudraient laisser des mots, des souvenirs, des pensées en hommage à Koyo Kouoh. Au Zeitz MOCAA, le musée sera exceptionnellement ouvert demain 13 mai à 10h, heure locale, pour une cérémonie d’hommage à l’illustre disparue.
Et même si les hommages doivent se taire un jour ou l’autre, Koyo ne mourra jamais !
La Rédaction.