Nadine Priam Plesnage : « Ma cible, ce sont celles et ceux qui ont la responsabilité de parler de nous »

Nadine Priam Plesnage, journaliste martiniquaise, a fondé il y a moins de deux ans Tkacademy qui se propose de vous plonger dans l’histoire de l’art et les patrimoines caribéens depuis chez vous.

Dans cet entretien, elle revient notamment sur son parcours et particulièrement sur l’ambition de cette plateforme d’apprentissage en ligne de plus en plus populaire.

Nadine Priam Plesnage Crédit Photo : Tanguy Blais

Asakan : Vous êtes nantie d’une expérience de près de 30 ans dans le journalisme et vous avez créé en 2023 la plateforme TK Academy. Pourriez-vous nous parler de votre parcours ? Pourquoi TK Academy ? Et avec qui travaillez-vous ?

Nadine Priam Plesnage : Mon parcours est profondément ancré dans l’éducation reçue dans l’écrin familial. Deux parents enseignants très soucieux de nous transmettre notre culture et nos héritages en plus des savoirs purement académiques. J’ai été élevée au milieu d’artistes, la musique, les arts visuels, la créativité manuelle ; j’ai grandi dans un environnement qui valorisait ces savoirs. Dès l’enfance, on m’a mis entre les mains des ouvrages relatifs à l’histoire de la Caraïbe et les classiques français en littérature ont toujours côtoyé les grandes plumes de la créolité antillaise.

J’ai eu beaucoup de chance finalement d’avoir été témoin direct de cette effervescence intellectuelle, des discussions politiques, culturelles, des décryptages qui ont aiguisé mon sens critique et boosté ma curiosité.

Aussi, mon parcours est étroitement lié à ce qui m’a forgé à savoir une fine conscience de qui je suis et des patrimoines dont je suis dépositaire. C’est la raison pour laquelle de façon naturelle et atypique, après mon baccalauréat obtenu à l’âge de 17 ans au Lycée Schoelcher, le lycée où a enseigné Aimé Césaire, je me suis dirigée vers la Caraïbe pour mes études supérieures. Une démarche absolument en rupture avec les réflexes à l’époque. Personne ne faisait cela. Direction ensuite l’Île de la Barbade donc, puis Bordeaux et Pampelune en Espagne, avant de rentrer au terme de ma formation, afin d’exercer le métier que j’avais choisi : le journalisme, en Martinique.

Un métier qui cochait toutes les cases : assouvir ma curiosité, transmettre, voyager dans la Caraïbe, une aire géographique que j’ai sillonnée des Bahamas à Trinidad soit au titre de mes missions professionnelles soit à titre privé. J’ai exercé 26 années pour Francetelevisions et je me sens plutôt fière rétrospectivement de mes réalisations : avoir Fidel Castro ou Hugo Chavez à son micro, enquêter au Honduras, couvrir un coup d’état à Haïti, organiser la couverture du décès d’Aimé Césaire en Martinique…

San Pedro Sula, Honduras, Enquête sur la multinationale Chiquita,
Radio Martinique, Groupe Francetelevisions

Là aussi, je remercie tous les jours pour ces opportunités créées ou offertes finalement par la vie. A 33 ans, je deviens la plus jeune rédactrice en cheffe du réseau Outremers pour autant, progressivement j’ai commencé à me sentir à l’étroit. Un métier qui se transforme, des évènements qui m’interpellent en même temps qu’ils m’alarment en Martinique et en Guadeloupe. Et puis, partout où je suis passée j’étais toujours soucieuse de m’assurer de la relève avec une attention particulière pour les juniors, ou encore dénicher les jeunes talents.

Détailler ce parcours c’est déjà poser toutes les bases de ma présence dans le milieu culturel, dans l’éducation, la transmission, l’engagement.

Tkacademy, c’est le fruit de cette trajectoire. C’est ma contribution comme j’aime à dire.

A 50 ans, j’ai quitté mes fonctions et mon employeur, j’ai repris le chemin de l’école à Paris et ai mûri ce concept innovant au service du rayonnement de ma culture. C’est durant cette formation qu’il y a eu plusieurs déclics à mesure que je prenais conscience des lacunes à la fois du côté du «  Nord » de l’occident, et aussi du côté de mes territoires, de ma région : la caraïbe. Une région qui recèle un message universel du fait de son histoire, celle de la résistance et de la « vie malgré tout », et qui demeure encore sous côté.

Tkacademy est une ICC numérique. Elle est toute jeune. Je travaille seule encore pour l’instant et je m’entoure de freelance et de professeurs d’universités  caribéens et africains enthousiastes.


Quelques-uns des enseignants de la plateforme Tkacademy.art
à savoir de gauche à droite et de haut en bas : la Dr. Christelle Lozere, Mme Katarina Jacobson,
le Professeur Babacar Mbaye Diop, M. Matthew Cowen, la Professeur Yolanda Wood,
la Professeur Lisa Tomlinson, Mme Marion Girard, M. Etienne Sohou N’Gani et Mme Gwladys Boissy.

Asakan : Sur la plateforme Tkacademy, vos cours varient de l’histoire de l’art à la géologie en passant par la muséologie, l’archéologie, la culture visuelle, le coaching, les pratiques curatoriales et le marché de l’art. Comment décririez-vous votre cible ?

Nadine Priam Plesnage : Ma cible, ce sont celles et ceux qui ont la responsabilité de parler de nous : curateurs, historiens de l’art, conservateurs de musées, étudiants en master ou doctorat ; artistes, designers, créateurs et entrepreneurs culturels ; enseignants et éducateurs spécialisés en histoire et culture, professionnels du tourisme culturel et du patrimoine ; Journalistes et documentaristes spécialisés en culture.

Pourquoi ? Parce qu’au moment même où – le voit bien-, les questions de décolonialité, de déconstruction, d’inclusivité, sont aux centres des préoccupations dans les milieux culturels et artistiques, on a encore la plus grande difficulté d’avoir accès rapidement à du matériel susceptible d’approcher au plus près les réalités des territoires concernés, d’en saisir les paradigmes et d’être en capacité de les restituer fidèlement ou de façon équilibrée en tous cas.

Le corpus numérique tel qu’il est proposé est absent des cursus classiques. Le parti pris est de permettre d’établir des passerelles. De s’affranchir de l’académisme vertical mais envisager une transversalité assurée par le caractère pluridisciplinaire des cours.

Pourquoi par exemple un cours sur l’histoire de la formation géologique de la Caraïbe ? Eh bien, parce que le rapport que nous avons avec notre environnement, avec la nature est au cœur de notre rapport au monde.

L’archéologie ? Parce qu’elle vient mettre en lumière des aspects complémentaires à l’histoire générale. Le modèle éducatif actuel fait la part belle à la chronologie et au quantitatif. Le Sud et notamment l’Afrique et la Caraïbe sont là pour dire : vous voulez en savoir plus sur nous ? Vous voulez parler de nous ? Écoutez-nous, acceptez le fait que vos outils méthodologiques ne vont pas forcément vous assurer de pénétrer nos univers. Vous avez tout à y gagner. Nous avons tout à y gagner.

Et puis, la rubrique coaching bien sûr est aussi là pour renforcer les capacités de celles et ceux qui n’ont pas le temps ou les moyens de suivre un cursus académique traditionnel et qui  ont la volonté d’approfondir leurs connaissances pour gagner en crédibilité et progresser dans leur carrière. Cela vaut autant pour les artistes qui méconnaissent les mécanismes du marché de l’art international ou le milieu des galeries, que pour les entrepreneurs culturels.


Asakan : Cette plateforme ne s’adresse donc pas uniquement aux personnes africaines et celles d’ascendance africaine ?

Nadine Priam Plesnage : Non, en effet. Elle s’adresse au monde entier ni plus ni moins. Pour ce faire, elle est disponible en six (06) langues dont le mandarin et le Kreyol Haïtien qui est parlé par des millions de personnes. C’est dire l’ambition (sourires).

La plateforme que je conçois comme un tiers lieu finalement, comme un espace d’expression, je voudrais qu’elle inspire, qu’elle incite à investir dans la culture. Le secteur représente pour les pays du Sud, comme vous le savez, un pilier trop négligé en matière de levier de développement économique.

J’ajoute que Tkacademy c’est aussi un média culturel qui s’appelle Boulamawkaj.mag disponible sur le site et sur la chaîne Whatsapp que nous venons de lancer. Une revue dédiée à la parole curatoriale africaine et caribéenne.


Quelques-uns des cours de la plateforme Tkacademy.art

Asakan : Dans vos interactions avec divers acteurs du monde de l’art, quelles idées fausses ou quels mythes courants sur les plateformes d’apprentissage en ligne entendez-vous souvent, et comment votre plateforme aborde-t-elle ou démystifie-t-elle ces perceptions ?

Nadine Priam Plesnage : Vaste sujet… J’ai été d’abord extrêmement surprise par la méconnaissance de ce qu’est l’e-learning. Je ne m’y attendais pas. Je dois faire avec. Je ne pensais pas rencontrer cette réalité. En France, c’est  un marché en développement, mais, qu’on croit, dédié au coaching de développement personnel !!! C’est fou.

On confond aussi avec les MOOCs qui sont eux adossés à des universités. Mais l’edtech, l’éducation par la technologie, j’ai chaque fois des réactions de surprise. Cela dit, j’ai la chance de bénéficier d’une belle reconnaissance et compréhension de la démarche en dépit de tout. Tkacademy.art suit donc son petit de bonhomme de chemin. Et je suis plutôt satisfaite globalement du chemin parcouru par cette petite boite en même pas un an et demi. J’ai trouvé un accueil énorme sur le continent africain et je ne m’y attendais pas non plus.

Le site compte aujourd’hui une centaine d’abonnés et est présent dans des institutions en Guadeloupe, au Bénin en Ouganda. Et les discussions sont bien engagées avec d’autres pays comme l’Angola et le Togo.


Asakan : Un dernier mot ?

Nadine Priam Plesnage : S’il faut être honnête, les défis sont nombreux. Travailler dans la culture, je n’ai pas choisi le plus facile ! J’espère ouvrir la voie et réussir mon pari. Celui d’amplifier les voix créatives de la Caraïbe et d’Afrique afin qu’elles occupent l’espace qu’elles méritent. Mon engagement est un plaidoyer pour des collaborations Sud-Sud. Cela me tient vraiment à cœur, pour nous impliquer, nous, issus de ces territoires dans la diffusion/préservation de nos patrimoines matériels et immatériels selon nos termes et notamment avec nos épistémologies.

Pour en savoir plus,

Propos recueillis par : Jean Paradis.

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