Ayant grandi entre la culture occidentale et celle congolaise, Alegria Blue (née en 1993 en Belgique) est une artiste passionnée depuis toujours, qui peint principalement des personnages noirs. Un dialogue délicat avec la communauté qui l’a accueillie dès l’adolescence et lui a offert un ancrage identitaire.
Ne serait-ce parce qu’elle est autodidacte, débordante d’une imagination fertile, et d’un esprit tout aussi vif qu’observateur, elle met en lumière, dans ses œuvres, des scènes où le quotidien devient un théâtre de l’intime, où les masques tombent pour laisser place à la vérité des émotions.
Coup de Cœur.

Asakan : Pour commencer notre entretien, pouvez-vous vous présenter ?
Alegria Blue : Je m’appelle Alegria Blue, je suis une artiste peintre basée en France. Je travaille principalement sur de grands formats, en explorant les scènes de vie, les instants suspendus et les liens invisibles qui nous connectent en tant qu’êtres humains. Mon parcours personnel, marqué par des reconstructions constantes et une introspection profonde, nourrit intensément mon travail. J’ai toujours su, au plus profond de moi, que je devais peindre. Cela m’a permis de soulager mon inconscient, mais aussi de poser mes émotions dans une réalité de vie où il faut sans cesse être combatif pour avancer. Mon art est né d’un besoin urgent de créer dans un environnement où la fragilité n’avait pas toujours sa place.

Asakan : Quelle définition faites-vous de l’art ? Comment percevez-vous l’art contemporain ?
Alegria Blue : Pour moi, l’art est une tentative de révéler ce qui reste caché, de capter l’invisible et d’en traduire l’énergie. C’est une manière de donner une forme à ce qui échappe aux mots, un miroir qui reflète des vérités – même celles que l’on préfère parfois ignorer.
Quant à l’art contemporain, je l’observe avec un certain recul. Je peine à m’y sentir pleinement intégrée, car les artistes qui m’ont le plus marqué appartiennent principalement à l’art moderne. L’art contemporain, pour moi, est comme une cage à ciel ouvert : on peut s’y sentir libre, à condition d’oublier la structure qui nous entoure. C’est un milieu complexe, où il est difficile de trouver sa place ou de préserver son authenticité face à une surabondance de concepts et de tendances.
Je trouve également que le système actuel est souvent ingrat envers les artistes émergents. On leur demande d’endosser une multitude de rôles : peintre, auteur, stratège, marketeur – tout en acceptant de céder une part importante de leur travail, souvent 50%, aux institutions ou aux galeries. Cela crée un écosystème où les efforts ne sont pas toujours récompensés à leur juste valeur. Si l’art contemporain doit être le reflet de son époque, il ne devrait pas pour autant devenir une mécanique qui standardise ou étouffe la créativité.
Asakan : Quand avez-vous su que vous consacriez votre vie à l’art ?
Alegria Blue : C’est venu comme une nécessité, pas comme un choix conscient. J’ai commencé à peindre dans un moment où tout était instable dans ma vie. Je peignais la nuit, épuisée mais déterminée, entourée de mes deux enfants. Avec le temps, j’ai réalisé que ce n’était pas juste une activité ou une échappatoire : c’était ma voix, mon ancrage, ma manière de traduire ce que je ressentais et de me connecter aux autres.

Huile, acrylique, pastel à l’huile et tissus sur toile, 300 cm x 177 cm
Asakan : En tant qu’artiste, comment décririez-vous votre art ? Comment êtes-vous parvenue à la finalisation de votre empreinte ?
Alegria Blue : Mon art est une exploration des liens humains, de l’intime et de ce qui se joue dans les silences. Je peins des scènes de vie où les émotions s’expriment à travers des regards, des gestes simples, ou cette tension entre présence et absence.
Je préfère dire que mon art est la synthèse de tout ce qui m’entoure : mon environnement social, culturel, mais aussi musical. La musique joue un rôle fondamental dans mon processus créatif. Elle me permet de me connecter à mon énergie instinctive, d’accéder à des émotions brutes et de les coucher sur la toile.
Je ne suis pas sûre d’avoir « finalisé » une empreinte, car je crois que mon travail est en perpétuelle évolution. Mais ce qui reste central, c’est cette sincérité : peindre ce qui me touche profondément et ce que je perçois chez les autres, sans me conformer à une tendance ou chercher à plaire.

Acrylique, huile, et pastel à l’huile sur toile, 164 x 124 cm

Acrylique, encre, huile et pastel à l’huile sur toile, 125 x 215 cm

Acrylique, encre, huile et pastel à l’huile sur toile, 150 x 240 cm
Asakan : Quelles sont vos inspirations artistiques, vos influences ? Les thèmes et émotions que vous essayez de transcrire dans vos œuvres ?
Alegria Blue : Je puise mon inspiration dans la musique, en particulier l’afrobeat, qui me permet de descendre profondément en moi-même et d’accéder à des émotions enfouies. C’est un véritable déclencheur pour connecter mon inconscient et libérer des souvenirs que je ne pourrais pas exprimer autrement.
Mon art est principalement nourri par mon propre vécu : en tant que jeune femme de 30 ans, j’ai traversé des épreuves et des expériences qui marquent, des moments qui laissent une empreinte durable. Ces fragments de vie deviennent la matière première de mon travail, une sorte de grande bibliothèque intérieure dans laquelle je puise constamment.
Mes toiles explorent l’introspection, le rapport au temps, et cette tension entre vulnérabilité et force, entre l’intime et le collectif. Je m’inspire aussi beaucoup d’images : des photographes contemporains dont j’admire le travail et qui m’aident à penser la lumière, la composition et les corps. Mais au cœur de tout cela, c’est mon inconscient et mon expérience personnelle qui guident ma création, dans une quête sincère de raconter ce qui ne se dit pas toujours, mais qui se ressent profondément.

Asakan : Quel est le regard porté sur votre travail par le public ? Par le milieu artistique ?
Alegria Blue : Mes œuvres sont souvent reçues de manière très émotionnelle, et c’est quelque chose qui me touche profondément. On me parle beaucoup de mon travail sur la lumière et les couleurs. Les spectateurs soulignent également le mélange des techniques que j’utilise : le contraste entre l’aspect détaillé et soigné de l’huile et le côté plus brut et instinctif du pastel à l’huile.
On m’a aussi dit que mes œuvres avaient une qualité cinématique, qu’elles capturent notre époque de plein fouet, tout en créant une tension entre l’urbain et une dimension plus spirituelle. Certains voient dans mon travail quelque chose qui pourrait trouver un écho particulier sur la scène américaine, avec ses influences diverses et son énergie. En France, mon approche surprend parfois, mais cela me pousse à continuer à explorer ma vision avec sincérité.

Huile, acrylique et pastel à l’huile sur toile, 64 x 54 cm
Asakan : Quels conseils aimeriez-vous transmettre à d’autres jeunes désireux de se lancer dans l’art ?
Alegria Blue : Le conseil que je donnerais aux jeunes artistes, c’est d’être avant tout patients et de se laisser le temps de grandir dans leur art. Le chemin est long, parfois semé de doutes, mais il est aussi rempli de découvertes. Soyez curieux, explorez tout ce qui vous inspire, et poussez votre art aussi loin que possible, sans vous limiter.
On entend souvent qu’il faut se concentrer sur un seul style ou un seul sujet pour « trouver sa place », mais je crois au contraire que c’est en explorant toutes les facettes de ce qui vous anime que vous trouverez votre authenticité. Faites confiance à votre instinct et ne laissez personne définir votre art à votre place.
Pour plus d’informations sur le travail d’Alegria Blue,
- Son compte Instagram.
La Rédaction.