Retour sur notre Coup de Cœur avec la photographe congolaise Anastasie Langu Lawinner

Dans son travail, elle propose des thérapies alternatives réparatrices face aux méfaits de la colonisation, de l’esclavage moderne, de la crise migratoire, du genre, de la crise migratoire tout en s’interrogeant sur la place et le rôle de la femme dans la société,  l’identité spirituelle et les religions. Ce n’est donc pas pour rien que cette talentueuse photographe congolaise vit son art comme un engagement sans cesse renouvelé.   

Coup de cœur.


Anastasie Langu Lawinner

Asakan : Pour commencer notre entretien, voulez –vous vous présenter ?

L’Artiste : Je m’appelle Anastasie Langu Lawinner. Je suis une artiste photographe professionnelle, originaire de la République Démocratique du Congo, qui vit et travaille en France.


Asakan : Quelle définition faites-vous de l’art? Et comment percevez-vous l’art contemporain ?

L’Artiste : L’art pour moi est une expression qui permet d’être en connexion avec plusieurs dimensions et aussi un moyen par lequel l’artiste questionne et prophétise le changement, l’évolution de la société.

En Afrique, l’art contemporain est un courant de pensées suite aux problématiques auxquelles fait face le continent. Moi, je m’oriente sur le champs de l’histoire et de la mémoire collective en faisant une remise en question sur la rétrospection de l’évolution du temps présent et en proposant à travers mes œuvres des thérapies alternatives des réparations des méfaits du système colonial, de l’esclavage ancien et moderne, de la migration humaine, du genre, de la guerre, de la gestion des conflits, de la place et du rôle de la femme, de la recherche d’identité spirituelle , de la religion et des ressentiments.


Asakan : Quand avez-vous su que vous consacriez votre vie à l’art ?

L’Artiste : Le jour où, fraîchement diplômée en droit, j’ai appris dans le studio d’un ami photographe que je pouvais me servir de l’art pour parler des choses qui me dérangent et pour aider à la sensibilisation de la société. C’est ainsi que de nature un peu vive, j’ai laissé tomber de suite et sans regarder derrière ma première vocation pour me consacrer à cette passion noble.


Asakan : En tant qu’artiste, comment vous définirez-vous ? Comment êtes-vous parvenue à la finalisation de votre empreinte ?

L’Artiste : Je suis une artiste femme, mélancolique, poignante, révoltée, dérangeante, utopique, et prophétesse par ma ténacité. Car pour être une femme artiste photographe dans un milieu dominé par le genre masculin, il faut avoir de la vision et du courage pour résister au jour le jour.

Je ne sais pas si je suis déjà une artiste photographe pleinement accomplie. Ce qui est sûr en allant à la rencontre de l’art j’ai été séduite par la photographie et j’ai appris tout de suite avec la folle envie qui m’animait. Ainsi, j’ai commencé par des tutoriels en ligne. A force de creuser, j’ai découvert un peu après un site en ligne qui donnait une formation par correspondance sur l’initiation à la photographie. J’ai suivi cette formation. Et enfin, j’ai participé à plusieurs ateliers sur l’art visuel car je ne voulais pas devenir photographe événementiel comme la plupart de mes collègues d’alors.

J’ai donc commencé à utiliser mon appareil photo d’abord pour interroger le monde à travers des portraits en noir et blanc souvent mélancoliques et des autoportraits et portraits de femmes liées ou nues. C’est peut-être ce qui m’a valu le premier prix du concours Artembo en 2018.


Anastasie Langu Lawinner, Série Voile, 2019.

Asakan : Quelles sont vos inspirations artistiques, vos influences ? Les thèmes et émotions que vous essayez de transcrire dans vos œuvres ?

L’Artiste : Je suis interpellée par un certain nombre de choses. Comme par exemple la douleur, la colère, le manque, l’indifférence, la joie, la tristesse. Et depuis que je suis mère, la joie a pris une autre couleur — plus lumineuse, plus pleine, mais aussi plus fragile.

Mes inspirations viennent autant de l’intime que du collectif. Je puise dans les mémoires oubliées, les silences imposés, les violences invisibles. Les injustices, les inégalités, les cicatrices laissées par la colonisation, les communautés détruites qu’il faut réparer, les histoires effacées qui demandent justice — tout cela traverse mon travail.

Je suis habitée par une urgence de dire, de redonner voix, de faire mémoire.

Dans mes œuvres, j’essaie de transcrire ce qui brûle en nous mais qu’on n’ose pas toujours nommer : les failles, les absences, les survivances. Je travaille avec les émotions comme avec des matières premières — je ne les enjolive pas, je les donne à voir, à ressentir, à traverser.


Anastasie Langu Lawinner, Série Molimo, 2017.
Anastasie Langu Lawinner, Série Normes 2021.
Anastasie Langu Lawinner, Série Situation, 2020.
Anastasie Langu Lawinner, Série Red, 2019.
Anastasie Langu Lawinner, Série S.O.S, 2017.

Asakan : Quel est le regard porté sur votre travail par le public ? Par le milieu artistique ?

L’Artiste : Que ce soit à Kinshasa, Brazzaville, Yaoundé, Leipzig, où j’ai pu exposer entre autres, je note un regard inquiétant, bouleversant — la peur de se reconnaître, de se découvrir dans un monde que beaucoup préféreraient maintenir dans le silence. Mon travail agit comme un miroir : il dérange parfois, mais il attire aussi. J’y lis souvent un regard amoureux, une curiosité intense, comme si les gens retrouvaient quelque chose d’eux-mêmes qu’ils croyaient perdu.

Du côté du milieu artistique, c’est plus contrasté. Je suis autodidacte, donc je dois sans cesse prouver ma légitimité. Mais je m’impose par la rigueur et la sincérité de mon travail. On me décrit souvent comme une artiste sans tabou, sans peur, et c’est vrai que je ne cherche pas à plaire, mais à dire. Ce positionnement me tient debout, même s’il dérange parfois.


Asakan : Quels conseils aimeriez-vous transmettre à d’autres jeunes désireux de se lancer dans l’art?

L’Artiste : Je dirais d’abord : croyez en vous ! n’attendez pas la permission. Si vous ressentez l’appel de créer, commencez. Même avec peu de moyens, même dans l’ombre. L’art naît souvent là où les mots manquent, là où le monde ne vous regarde pas encore.

Ensuite, je conseille de bien vous entourer : cherchez d’autres artistes, des personnes qui croient en vos idées, même quand elles sont floues.

Enfin, ne perdez jamais votre voix. Ce que vous avez à dire, personne ne peut le dire à votre place. Soyez curieux, soyez courageux, soyez fidèles à ce qui vous brûle intérieurement. Le monde a besoin d’art authentique, pas de copies.


Pour plus d’informations sur le travail d’Anastasie Langu Lawinner,

La Rédaction.

Article publié pour la première fois sur le blog Medium d’Asakan en août 2022 et actualisé en août 2025.

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