De ses magnifiques sculptures qui honorent son héritage du Royaume du Bénin au Nigéria à ses toiles aux tons enivrants, Osaru Obaseki est une figure émergente forte de la scène artistique nigériane et africaine dont l’œuvre est un dialogue entre le passé et le présent, et comment ces deux époques peuvent cohabiter pour explorer la matérialité, l’histoire, l’identité, la dynamique sociétale ainsi que la complexité des récits coloniaux et postcoloniaux.
Elle est notre Coup de Cœur.

Photo: DR.
Asakan : Pour commencer notre entretien, pouvez –vous vous présenter ?
L’Artiste : Je m’appelle Osaru Obaseki. Je suis une artiste visuelle nigériane qui travaille principalement avec du sable (terre), le bronze et le verre.
Ma pratique est ancrée dans les techniques mixtes et je me sens souvent attirée par le langage des matériaux, en particulier ceux qui sont porteurs d’un sens sur la mémoire, l’histoire et la transformation. J’ai toujours exploré les idées autour du temps, de l’identité et de la présence à travers l’abstraction et la figuration. Mon travail a fait l’objet d’expositions en galeries, lors de résidences et dans des espaces muséaux, et je cherche continuellement des moyens plus profonds de relier mes matériaux, mon histoire et mon environnement.
Asakan : Quelle définition faites-vous de l’art ? Comment percevez-vous l’art contemporain ?
L’Artiste : Pour moi, l’art est une forme de souvenir et de réimagination. C’est un lieu d’excavation d’expériences vécues, d’émotions, de culture et de possibilités. Je le vois à la fois comme une méditation personnelle et un miroir communautaire.
L’art contemporain est expansif, il n’est pas limité par le support ou la géographie. Il permet l’expérimentation, l’hybridation et la vulnérabilité. J’apprécie la façon dont il crée de l’espace pour que de multiples vérités puissent coexister. Mais je suis également très consciente du fait que les voix locales, en particulier dans des pays comme le Nigeria, ne sont souvent pas entendues dans ce récit global – ce qui, bien sûr, est en train de changer grâce aux créatifs exceptionnels que nous avons et dont certains, je le sais, font des travaux et des recherches extraordinaires pour mieux raconter nos propres histoires depuis le front intérieur jusqu’au monde entier. C’est une chose que je remets doucement en question dans ma pratique.
Asakan : Quand avez-vous su que vous consacriez votre vie à l’art ?
L’Artiste : Il n’y a pas eu de moment dramatique (rires), c’était plutôt lent et persistant. Il s’agit d’un devenir progressif, d’un renouvellement continu de soi. Pourtant, j’ai toujours su au fond de moi que cette voie était la mienne.
En cela, ma vie ressemble presque à un oignon dont les couches se dévoilent chaque jour, révélant de nouvelles parties de qui je suis. J’ai commencé à créer professionnellement vers 2017, et au fil du temps, j’ai réalisé que l’art était le seul espace où je me sentais pleinement présente, où tout avait un sens de manière ancrée. Même lorsque la route était incertaine ou épuisante, comme je le disais plus tôt en parlant d’oignons, nous savons tous que, qui épluche l’oignon, verse quelques larmes, il y a une clarté et un enracinement qui m’interpellent sans cesse.
Asakan : En tant qu’artiste, comment décririez-vous votre art ? Comment êtes-vous parvenu à la finalisation de votre empreinte ?
L’Artiste : Je décrirais mon travail comme un moyen de conservation, une expression de soi où les mots me manquent parfois et qui est en constante évolution. Je gravite autour des matériaux qui conservent la mémoire – terre (sable), fil, verre, bronze. Je les utilise pour construire des récits stratifiés et parfois fragiles. Mes œuvres sont donc souvent le fruit d’un processus, impliquant l’assemblage, la peinture, le plâtrage, la gravure, la coulée, la sculpture et, parfois, la réappropriation de matériaux anciens pour leur donner de nouvelles formes.
Pendant longtemps, je n’ai même pas réalisé que j’avais un « style ». Mais si l’on suggère un style en se basant sur le langage et les motifs récurrents dans mon travail, alors je dirais qu’il n’est pas encore arrivé à un stade définitif. C’est, pour l’instant le résultat d’années passées à expérimenter, à s’asseoir avec l’inconfort mental, à passer du temps dans des espaces traditionnels et à apprendre à écouter attentivement ce que disent les matériaux. Chaque chose et chaque personne dans ce monde incarne une histoire, qu’il s’agisse d’une tasse ou d’une épingle.
Je crois que je suis encore en train de découvrir ce style et je suis en paix avec cela. Mon empreinte réside ainsi davantage dans l’honnêteté et la résonance émotionnelle du travail que dans une esthétique ou une forme fixe.

Courtesy de l’Artiste



Osaru Obaseki, « Beneath The Bloom », 2024. Bronze female bust Courtesy de l’Artiste


Osaru Obaseki, « The Bearer », 2024. Bronze female bust Courtesy de l’Artiste

Courtesy de l’Artiste
Asakan : Quelles sont vos inspirations artistiques, vos influences ? Les thèmes et émotions que vous essayez de transcrire dans vos œuvres ?
L’Artiste : Je suis inspirée par le silence, la nature, la mémoire, le concept du temps, le patrimoine ancien, l’histoire, les idéologies et les rituels de la vie quotidienne. Les motifs et les récits culturels du Royaume du Bénin se retrouvent souvent subtilement dans mon travail, de même que les éléments floraux et organiques qui évoquent la guérison, la croissance, la préservation et le renouveau.
Les idéologies et les fragments intellectuels façonnent aussi profondément ma pensée. Un diptyque que j’ai créé en 2024, intitulé Seeking I & II, en est un bon exemple. Elle est née d’une constellation d’influences que j’ai mentalement assemblées sur une courte période, montrant comment mon esprit traite des thèmes abstraits et émotionnels. Lors d’une résidence à Venise, j’ai découvert le mariage mystique de Sainte Catherine d’Alexandrie (1575) de Paolo Véronèse à la Gallerie dell’Accademia. Cette rencontre visuelle, combinée à la lecture de Why Have There Been No Great Women Artists ? de Linda Nochlin et Africa Venice de Paul Kaplan & Shaul Bassi, a commencé à former un faisceau de recherches dans mes pensées. J’ai également été attirée par la philosophie platonicienne, en particulier par le mythe de la caverne, qui décrit la caverne comme un espace où l’on découvre les formes les plus pures des idées. Ces textes et ces images constituaient un pont entre l’histoire et l’identité, le mythe et la matière. Ce travail (Seeking) est devenu un moyen de naviguer dans l’espace entre la réalité et les constructions historiques, tout en m’ouvrant à d’autres perspectives.


Osaru Obaseki, « Seeking 1 & 2 (Myth of the cave) », 2024.
Murano glass & acrylic on canvas, 150 x 130 cm x 2 Courtesy de l’Artiste
Des thèmes tels que la vulnérabilité, la résilience et l’identité tournent continuellement autour de ma pratique. Il y a souvent un sentiment de superposition et d’effacement, de construction de quelque chose de nouveau à partir de ce qui a été fragmenté.
Sur le plan émotionnel, je veux que mon travail soit ressenti comme une pause, un moment calme et texturé où le spectateur est invité à réfléchir ou à se reconnecter à quelque chose de personnel.
Asakan : Quel est le regard porté sur votre travail par le public ? Par le milieu artistique ?
L’Artiste : J’ai eu la chance de recevoir de nombreux et poignants témoignages de la part de personnes qui m’ont dit que mon travail leur paraissait intime ou ancré, même lorsqu’il était abstrait ou figuratif. Il y a souvent un sentiment de reconnaissance émotionnelle, en particulier autour des thèmes de la mémoire et de l’identité.
Au sein de la communauté artistique, j’ai eu également la chance de collaborer avec des musées et des galeries, d’effectuer des résidences et d’exposer mon travail dans des contextes locaux et internationaux.
Cela dit, j’ai le sentiment qu’il me reste encore beaucoup à explorer et à apporter dans mon pays d’origine, le Nigeria. Mais je vois cela comme un espace dans lequel je peux grandir plutôt que comme quelque chose qui me frustre. Il ne s’agit pas d’une lacune, mais d’un domaine plein de potentiel pour un engagement et une croissance plus profonds. Mon travail évolue donc, tout comme sa visibilité.

Courtesy de l’Artiste

Courtesy de l’Artiste
Asakan : Quels conseils aimeriez-vous transmettre à d’autres jeunes désireux de se lancer dans l’art ?
L’Artiste : Commencez par l’intérieur. Ne vous précipitez pas pour trouver un style, passez du temps à connaitre votre voix, votre rythme, votre vérité. Soyez prêt à expérimenter, à échouer, à recommencer autrement. Créez une communauté là où vous le pouvez, même si elle est petite au début. Ne sous-estimez pas non plus la valeur de la structure, consacrez du temps à votre pratique, cherchez du soutien et protégez votre espace mental. Enfin, permettez à votre art d’évoluer en même temps que vous. Il se s’agit pas d’une identité fixe, mais d’une chose vivante qui respire.
Pour plus d’informations sur le travail d’Osaru OBASEKI,
La Rédaction.