Coup de Cœur avec l’Artiste Sculpteur et Peintre Béninois Marcel Kpoho

« L’humain porte un masque, pour se protéger, pour nuire ou simplement pour survivre. D’où les différents visages et masques présents dans mes créations. », peut-on lire sur son site internet. Mais Marcel Kpoho ne fait pas que transformer des pneus usagés en magnifiques et mythiques sculptures. Il peint aussi. Pour exhaler les souffrances de ce monde et ses quêtes personnelles. Pour dénoncer les injustices sous toutes leurs formes et l’action néfaste de l’homme sur son environnement.

Coup de Cœur.

Marcel Kpoho

Asakan : Pour commencer notre entretien, pouvez –vous vous présenter ?

L’Artiste : Je m’appelle Marcel Kpoho, artiste plasticien, peintre et sculpteur. Né en 1988 à Porto-Novo, au Bénin, j’ai d’abord exercé comme professeur de mathématiques avant de me consacrer pleinement à l’art qui était ma passion, ma vocation première. Autodidacte au départ, je poursuis actuellement un Master en Art dans l’Espace Public à l’EDHEA, en Suisse.


Asakan : Quelle définition faites-vous de l’art ? Comment percevez-vous l’art contemporain ?

L’Artiste : L’art est, avant tout, un mode de vie. Il nous permet d’apprendre sur nous-mêmes et de mieux comprendre ce qui nous entoure.

L’art contemporain est une notion vaste, englobant toutes les créations actuelles. On y trouve une grande diversité, allant du figuratif au conceptuel. Cependant, une partie de l’art contemporain est devenue très intellectuelle et abstraite, excluant une majorité du public au profit d’une élite qui en maîtrise les codes.

Pour moi, le concept ne doit pas prendre le pas sur l’œuvre, mais plutôt la soutenir et lui donner de la profondeur. L’œuvre doit exister par elle-même. Mon approche vise à m’adresser au plus grand nombre, tout en acceptant que cela ne puisse plaire à tous. L’artiste est avant tout un créateur, et j’ai un fort attachement au travail de la matière.


Asakan : Quand avez-vous su que vous consacriez votre vie à l’art ?

L’Artiste : J’ai compris que ma vie serait dédiée à l’art lorsque des questionnements profonds ont envahi mon esprit : Qui suis-je ? Pourquoi suis-je né ici? Dans ce corps? Dans ce pays ? Quelle est mon identité ? Pourquoi mon continent, pourtant si riche, semble avoir perdu une partie de son essence ?

L’art est devenu pour moi le meilleur moyen d’exprimer ces réflexions et de donner une voix à mes interrogations. Comme un prêtre répond à l’appel du sacerdoce, j’ai senti que ma mission était d’être la voix des sans voix. Alors, j’ai commencé par le dessin, puis la peinture et fini par la sculpture.


Asakan : En tant qu’artiste, comment décririez-vous votre art ? Comment êtes-vous parvenu à la finalisation de votre empreinte ?

L’Artiste : Je réalise des sculptures à partir de matériaux recyclés, notamment des pneus en caoutchouc. Ce choix est né de l’observation de mon environnement au Bénin où les pneus abandonnés au bord des routes sont omniprésents. Non recyclables, ils polluent progressivement les sols et posent un problème sanitaire en devenant des foyers propices aux moustiques, vecteurs de nombreuses maladies dont principalement par le paludisme.

Au fil du temps, j’ai développé une approche personnelle du matériau, jouant avec ses motifs pour créer des masques et des sculptures monumentales. Aujourd’hui, j’ai affiné ma technique et évolué vers des formes plus abstraites, notamment dans mes masques. De même, mes peintures sont devenues le reflet de ma démarche artistique en sculpture.


Marcel Kpoho, « Klédjé », 2024. Sculpture en pneus, 110 x 85 x 75 cm
Courtesy de l’Artiste
Marcel Kpoho, « Ibédji », 2024. Sculpture en pneus, 73 x 40 x 10 cm
Courtesy de l’Artiste
Marcel Kpoho, « Femâle », 2023. Sculpture en pneus, 300 x 170 x 170 cm
Courtesy de l’Artiste
Marcel Kpoho, « Ifa », 2023. Sculpture en pneus, 150 x 88 x 16 cm
Courtesy de l’Artiste
Marcel Kpoho, « Dan », 2023. Sculpture en pneus, 12 x 43 x 12 cm
Courtesy de l’Artiste
Marcel Kpoho, « Les Disparus », 2022. Sculpture en pneus, 200 x 80 x 23 cm
Courtesy de l’Artiste
Marcel Kpoho, « L’Elevation », 2020. Acrylique sur toile, 117 x 89 cm
Courtesy de l’Artiste
Marcel Kpoho, « L’inégalité Sociale », 2020. Acrylique sur toile, 117 x 89 cm
Courtesy de l’Artiste

Asakan : Quelles sont vos inspirations artistiques, vos influences ? Les thèmes et émotions que vous essayez de transcrire dans vos œuvres ?

L’Artiste : Je puise mon inspiration dans des sujets qui me touchent profondément : l’injustice, le racisme, l’immigration, les questions sur l’identité, le genre, et les violences faites aux femmes..

Beaucoup d’éléments qui nous définissent nous sont imposés et deviennent des barrières. Par exemple, être né en Afrique et posséder un passeport béninois limite considérablement mes possibilités de voyager, ce qui est fondamentalement injuste.

L’environnement est aussi un axe majeur de mon travail, non seulement dans le choix de mes matériaux aussi bien pour la sculpture que pour la peinture, mais aussi dans ma manière de vivre. Nous n’avons qu’une planète, elle nous nourrit et nous devons la protéger.

Par ailleurs, j’admire les artistes qui travaillent la matière et créent des œuvres monumentales. Le Bénin, bien que petit, compte des figures artistiques majeures qui ont ouvert en cette matière la voie dans le monde. Leurs parcours sont une source d’inspiration.

De nombreux artistes internationaux m’inspirent également, comme le sculpteur Tony Cragg et l’Américaine Chakaia Booker.


Asakan : Quel est le regard porté sur votre travail par le public ? Par le milieu artistique ?

L’Artiste : Mes œuvres ne laissent personne indifférente. Elles provoquent diverses réactions, allant de la fascination à la crainte. Leur matière noire mystérieuse et leurs formes énigmatiques peuvent, en effet, susciter une certaine inquiétude. Mais en réalité, les peurs ne viennent pas de l’œuvre en elle-même, elles sont le reflet de ce que nous projetons sur elle. Car, l’art ne se limite pas seulement à la beauté ; il est aussi le miroir de nos émotions.

Dans le milieu artistique béninois, je me positionne comme un jeune artiste et j’ai eu la chance d’intégrer l’exposition majeure “Révélation ! Art contemporain du Bénin”, qui a présenté les artistes du pays à Cotonou, Rabat, Fort de France et Paris. C’est une belle reconnaissance de mon travail. De plus, j’ai participé à des foires d’art et exposé en galeries ainsi qu’au sein de certaines institutions. Ces opportunités confirment que je suis sur la bonne voie, même si le chemin reste encore long. Je continue d’apprendre, de rechercher et de perfectionner mon travail, raison pour laquelle j’ai entrepris un Master en arts, afin d’ancrer mes connaissances dans la réalité artistique actuelle.


Asakan : Quels conseils aimeriez-vous transmettre à d’autres jeunes désireux de se lancer dans l’art ?

L’Artiste : C’est un parcours exigeant, qui requiert une réelle vocation. L’art est un engagement de chaque instant, sans garantie de réussite immédiate. Il faut être prêt à affronter les doutes, les sacrifices et l’incertitude.

Si un jeune ressent cet appel, il doit travailler sur son identité : ce qui le rend unique, ses blessures, ses failles, car elles sont et feront sa force. Ainsi, plutôt que de copier ce qui se fait déjà, il doit trouver son propre langage artistique. Ensuite, il faut travailler sans relâche, persévérer et ne jamais abandonner, surtout face aux difficultés. Travailler, travailler et travailler encore, c’est le meilleur conseil que je puisse donner.

Pour plus d’informations sur le travail de Marcel KPOHO,

La Rédaction.

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