Né en 1984 à Banfora au Burkina-Faso et Fondateur de la Biennale de Photographie de Ouagadougou (PHOTOSA), Adrien Bitibaly met, depuis presque deux décennies, au cœur de son travail photographique, les réalités socio-culturelles africaines entre pratiques religieuses traditionnelles, accusations de sorcellerie et quêtes d’un meilleur mieux-être par la spiritualité.
Coup de Cœur.

Asakan : Pour commencer notre entretien, pouvez –vous vous présenter ?
Adrien Bitibaly : Je suis Adrien Bitibaly, photographe Burkinabè vivant entre la France et le Burkina Faso. Mon travail photographique explore l’identité, les mutations sociales et les traditions burkinabè, avec le désir de préserver et transmettre ces histoires à travers l’image.
Mon parcours est marqué par un fort engagement pour la transmission et le dialogue interculturel. Outre des participations à des tables rondes et conférences, j’ai créé en 2021 une biennale photographique à Ouagadougou, Photosa, dont la 3ème édition aura lieu en novembre 2025. Ce projet rassemble des photographes burkinabè et internationaux et propose des formations et des expositions dans l’espace public et dans des domiciles privés. L’objectif est de rendre la photographie accessible à tous, de promouvoir les échanges interculturels à travers la photographie et de créer de nouvelles opportunités économiques pour les photographes burkinabè. A travers ce projet, je souhaite contribuer à ce que tous les photographes burkinabè, moi y compris, obtiennent la reconnaissance de notre profession dans notre pays. J’espère aussi que cela permettra aux photographes burkinabè d’être connus au-delà de nos frontières.
Asakan : Quelle définition faites-vous de l’art ? Comment percevez-vous l’art contemporain ?
Adrien Bitibaly : L’art, pour moi, est une forme de langage, un moyen de dialogue entre les individus, les générations, les cultures. Il ne se limite pas à une simple représentation ; il engage une expérience, une question, un ressenti.
Dans mon travail, l’art contemporain est une manière d’interroger la mémoire et de donner à voir ce qui n’est pas toujours perceptible au premier regard. C’est une quête introspective, où je revisite mon propre passé pour mieux le comprendre et le réinterpréter, et une approche plus large, qui interroge les structures sociétales et culturelles de mon pays et au-delà.
Asakan : Quand avez-vous su que vous consacreriez votre vie à l’art ?
Adrien Bitibaly : À 14 ans, après avoir été photographié pour la première fois, j’ai ressenti une fascination pour l’image. Mais c’est en 2011, en découvrant Malick Sidibé, Seydou Keïta et la série L’enfer du Cuivre de Nyaba OUEDRAOGO, que j’ai compris que la photographie serait plus qu’un métier : un moyen de témoignage et de mémoire.
Cependant il n’y a pas eu un instant précis, mais plutôt une prise de conscience progressive. Et c’est en réalisant mes premiers projets que la photographie a commencé par être bien plus qu’une pratique pour moi : un engagement, un chemin de vie.
Asakan : En tant qu’artiste, comment décririez-vous votre art ? Comment êtes-vous parvenu à la finalisation de votre empreinte ?
Adrien Bitibaly : Mon travail s’inscrit dans le champ de la photographie contemporaine en articulant une approche documentaire et artistique qui questionne les dynamiques sociales et culturelles.
Ainsi, ma place dans la photographie contemporaine est celle d’un artiste qui interroge la mémoire individuelle et collective, tout en explorant la porosité entre documentaire et expérimentation formelle. C’est une photographie qui refuse les catégories figées, qui s’inscrit dans un dialogue entre l’intime et le politique, et qui propose un regard alternatif sur des réalités souvent méconnues ou simplifiées. Mon travail ne se limite pas non plus à la représentation du réel ; il joue sur l’indirect, le symbolique et l’invisible, comme dans Quatre Yeux, où j’explore la sorcellerie à travers ceux qui en valident l’existence, plutôt que les victimes elles-mêmes.
Mon « empreinte » visuelle s’est affinée au fil des années, au contact de mes sujets, de mes recherches et de mes expériences. La photographie est un travail de patience, d’expérimentation. Il faut trouver son propre rythme, son regard singulier. Dans mon cas, la rencontre avec les gardiens des traditions, l’observation des rites et leur mise en image ont progressivement forgé mon style.

Courtesy de l’Artiste

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Courtesy de l’Artiste

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Asakan : Quelles sont vos inspirations artistiques, vos influences ? Les thèmes et émotions que vous essayez de transcrire dans vos œuvres ?
Adrien Bitibaly : En tant que photographe burkinabè évoluant entre l’Afrique et l’Europe, ma démarche est marquée par un double mouvement : une quête introspective, où je revisite mon propre passé pour mieux le comprendre et le réinterpréter, et une approche plus large, qui interroge les structures sociétales et culturelles de mon pays et au-delà.
Ce positionnement me place dans une continuité avec des figures comme David Goldblatt ou encore Pierre Verger, qui ont su créer des dialogues entre histoire, traditions et réalités contemporaines, tout en s’inscrivant dans une photographie engagée, à la fois ancrée dans le réel et traversée par une réflexion esthétique. Mon inspiration vient également des traditions orales et des récits ancestraux.
Mes thèmes récurrents sont la transmission, le visible et l’invisible.

Courtesy de l’Artiste

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Asakan : Quel est le regard porté sur votre travail par le public ? Par le milieu artistique ?
Adrien Bitibaly : Mon travail suscite différentes réactions. Certains y voient une découverte fascinante de pratiques qu’ils ne connaissaient pas, d’autres ressentent une proximité, une connexion avec leurs propres racines.
Dans le milieu artistique, mon approche documentaire et sensible est reconnue, notamment avec le soutien de prix (Bourse du CNAP (Centre National des Arts Plastiques), Bourse World press Photo…)et de nombreuses publications. Mais il y a aussi des débats sur la représentation des traditions, sur la manière de les montrer avec respect et justesse.
Asakan : Quels conseils aimeriez-vous transmettre à d’autres jeunes désireux de se lancer dans l’art ?
Adrien Bitibaly : Je leur dirais d’être sincères dans leurs démarches, de ne pas chercher à plaire mais à exprimer ce qui leur est essentiel. Comme le dit Arnaud Claass, « Être artiste, c’est faire ce qu’on ne peut s’empêcher de faire, tout en faisant comme si l’on choisissait. C’est donc être comme tout le monde, mais un peu plus ». L’art est un chemin exigeant qui demande de la persévérance, du travail et surtout une profonde conviction. Il faut apprendre à regarder, à écouter, à questionner le monde et à y trouver sa place. Et surtout, ne jamais cesser d’expérimenter et d’évoluer.
Pour plus d’informations sur le travail d’Adrien Bitibaly,
La Rédaction.