Coup de Cœur avec l’Artiste Photographe Burkinabé Soum Eveline

Née en 1992 à Ouagadougou, Soum Eveline, à l’état civil Soum Eveline Nafissatou BONKOUNGOU, est une grande passionnée de la photographie qu’elle a commencé à pratiquer en 2019 sous la forme de couvertures événementielles  avant de se tourner vers la photographie d’auteur un peu plus tard, tout en contribuant à l’organisation de plusieurs évènements artistiques dont Photosa et la participation de la Fondation Ortiz aux Rencontres d’Arles 2023 et 2024. Présentée dans son pays natal, au Togo, en France et en Allemagne, son œuvre explore la la spiritualité, les liens familiaux, ainsi que la relation tradition et modernité dans une réflexion profonde sur les complexités de notre monde.

Coup de Coeur.

Soum Eveline
Crédit Photo: KIO.

Asakan : Pour commencer notre entretien, pouvez –vous vous présenter ?

L’Artiste : Je m’appelle Soum Eveline Bonkoungou, alias Soum Eveline. Je suis photographe et j’ai commencé la photographie en 2019. Je suis également coordinatrice d’événements liés à la photo.

J’ai débuté en tant que photographe événementielle, et en 2021, je me suis orientée vers une pratique artistique et documentaire. Cette transition s’est faite dans le cadre d’un programme de mentorat organisé par le CERPHOB – Cercle des Photographes du Burkina avec Adrien Bitibaly.


Asakan : Quelle définition faites-vous de l’art ? Comment percevez-vous l’art contemporain ?

L’Artiste : L’art est une vision personnelle et engagée, un moyen de toucher les sens et les émotions, de révéler ce qu’il y a de plus profond, de plus humain en qui le pratique ou le regarde.

L’art contemporain questionne, quant à lui, les réalités sociales, culturelles, sanitaires, politiques, économiques, et bien d’autres encore. Il connaît actuellement une évolution marquée par la créativité des artistes et la diversité infinie des médiums. Il est également influencé par l’innovation technologique, notamment l’intelligence artificielle, qui permet à certains créateurs et artistes de mettre en valeur leur talent à travers ce nouvel outil. Par ailleurs, les marchés et foires d’art contemporain jouent un rôle important en mettant en avant les œuvres d’artistes, qu’ils soient nationaux ou internationaux. C’est l’art de notre temps.


Asakan : Quand avez-vous su que vous consacriez votre vie à l’art ?

L’Artiste : En vérité, je ne pensais pas qu’il était possible de consacrer sa vie à l’art. Pourtant, je viens d’une famille d’artistes bronziers. Pour moi, l’art en particulier la photographie était réservée aux hommes. N’ayant jamais eu de modèle féminin dans ce domaine au Burkina Faso, je ne m’étais jamais posé la question de savoir si la photographie pouvait être faite par moi.

En 2018, après une rupture de contrat, je me suis mise à chercher un métier qui m’appartiendrait vraiment. C’est à ce moment-là que je suis rentrée en moi-même et que je me suis demandé : “Qu’est-ce que je serais capable de faire, même sans être payée ?” Et immédiatement, la photographie m’est venue à l’esprit. Mais j’avais peur. Je me disais que ce n’était pas pour moi. C’est un ami qui m’a encouragée : “Même si tu n’as pas de modèle féminin, commence. Tu seras le modèle pour d’autres.” Ces mots ont tout changé. J’ai alors rencontré des photographes à Ouagadougou qui m’ont accompagnée, d’abord dans l’événementiel. Puis, en 2020, j’ai rencontré Adrien Bitibaly, qui est devenu mon mentor en photographie d’auteur.

À ce moment-là, j’ai compris que j’allais consacrer ma vie à la photographie. J’ai alors commencé à travailler sur ma toute première série, Zikr. Un projet qui m’a occupée pendant deux ans. J’ai ensuite postulé à une résidence artistique, et les portes ont commencé à s’ouvrir pour moi, d’abord dans la sous-région ouest-africaine, puis à l’international.


Asakan : En tant qu’artiste, comment décririez-vous votre art ? Comment êtes-vous parvenue à la finalisation de votre empreinte ?

L’Artiste : Ma pratique photographique est de nature documentaire, et repose sur une introspection engagée. À travers mes projets, je parle souvent de moi, de mon vécu, et de ce que je ressens. Beaucoup de personnes s’y reconnaissent. Mon travail est intime, porté par des approches sensibles.

Par exemple, ma série Zikr questionne la foi et la croyance.

Peogo documente une tradition matrimoniale en voie de disparition au Burkina Faso : le “peogo”, un panier destiné à la mariée.

Dans ma série en cours, Mes frères & sœurs, j’explore la notion de fraternité pour montrer que les liens du cœur peuvent être aussi forts que ceux du sang. Je travaille dans ce sens avec la communauté burkinabé vivant en France.

En parallèle, je mène une recherche photographique sur le SOPK (syndrome des ovaires polykystiques), une maladie hormonale encore méconnue qui touche une femme sur sept et affecte notamment la fertilité.

Concernant mon empreinte, pour le moment, je dirais que je ne l’ai pas encore complètement définie. Je suis toujours en phase de recherche. Je travaille activement sur mes photos, et ce que je vois aujourd’hui me plaît, mais j’ai aussi le désir de développer une écriture qui me soit propre. Je suis en train de travailler là-dessus, pour façonner et affirmer peu à peu mon style photographique.


Asakan : Quelles sont vos inspirations artistiques, vos influences ? Les thèmes et émotions que vous essayez de transcrire dans vos œuvres ?

L’Artiste : Je dirais que mes inspirations artistiques viennent principalement de mon environnement, de mes racines burkinabè, et de la spiritualité qui m’entoure. Ces éléments nourrissent ma sensibilité et façonnent mon regard.

J’ai aussi beaucoup appris en observant le travail d’autres photographes, notamment Kani Sissoko, Adrien Bitibaly, et bien d’autres encore, qui m’ont encouragée à développer une écriture plus personnelle et intime.

Dans mes projets, je m’intéresse particulièrement aux thèmes de la foi, de l’héritage, de la mémoire familiale, ainsi qu’à la tension entre modernité et tradition. Cela se reflète dans mes séries Zikr et Peogo. Dans Zikr, je photographie des lieux de prière, notamment des mosquées, en jouant subtilement avec la lumière. J’explore des ambiances clair-obscur, où les formes, les objets de méditation et les corps deviennent presque spirituels, en équilibre entre ombre et lumière. Avec Peogo, je documente les éléments du panier de mariage traditionnel burkinabè, mais aussi les personnes qui l’ont reçu ou continuent de le recevoir. Ce projet intègre aussi une mise en scène de femmes qui refusent désormais cette tradition, qu’elles jugent parfois trop encombrante, symboliquement et physiquement.

Les émotions que je cherche à transmettre à travers mes images sont souvent empreintes de nostalgie, de questionnements intimes, mais aussi de force et de résilience. Mon objectif est de créer un espace de réflexion et de sensibilité, dans lequel chacun peut retrouver une part de soi à travers les histoires que je raconte en images.


© Soum Eveline, « Zikr, Foi ». Photographie
Courtesy de l’Artiste
© Soum Eveline, « Zikr, Lecture ». Photographie
Courtesy de l’Artiste
© Soum Eveline, « Zikr, Méditation 1 ». Photographie
Courtesy de l’Artiste
© Soum Eveline, « Peogo ». Photographie
Courtesy de l’Artiste
© Soum Eveline, « Peogo ». Photographie
Courtesy de l’Artiste
© Soum Eveline, « Peogo ». Photographie
Courtesy de l’Artiste
© Soum Eveline, « Peogo ». Photographie
Courtesy de l’Artiste
© Soum Eveline, « Frères & Sœurs ». Photographie
Courtesy de l’Artiste

Asakan : Quel est le regard porté sur votre travail par le public ? Par le milieu artistique ?

L’Artiste : Le public perçoit mon travail comme sincère, intimiste et porteur de mémoire. Beaucoup de personnes, notamment au Burkina Faso, se reconnaissent dans les histoires que je raconte, car elles résonnent avec leurs propres expériences : leurs liens familiaux et fraternels, traditions, croyances, et questionnements intimes. On me dit souvent que mes photos touchent et parlent, car elles racontent avec sensibilité ce que beaucoup ressentent sans toujours pouvoir l’exprimer.

Dans le milieu artistique, mon approche documentaire et personnelle est appréciée pour sa profondeur humaine, sa sensibilité et son engagement. Des structures telles que la Fondation Manuel Rivera-Ortiz ou le programme Les Filles de la Photo ont soutenu mon travail. Ces reconnaissances me donnent la force et la motivation de continuer à explorer ces récits de manière toujours plus personnelle et authentique.


Asakan : Quels conseils aimeriez-vous transmettre à d’autres jeunes désireux de se lancer dans l’art ?

L’Artiste : Avant tout, je dirais comme on me l’a toujours appris : d’être sincère. L’art commence par une vérité intérieure, par un besoin profond de dire quelque chose qui vient de soi. Il ne faut pas chercher à plaire ou à copier, mais à exprimer ce qui vous touche, vous questionne, vous fait vibrer ou vivre.

Ensuite, soyez curieux et patient. Comme quelqu’un me l’a dit un jour : « Si tu viens à l’art pour l’argent, abandonne. » L’art demande de la passion, de la persévérance, et de l’authenticité. Se former est essentiel, mais il faut aussi observer beaucoup, écouter les autres artistes, et s’ouvrir à d’autres disciplines. Cela enrichit le regard, la pratique, et même la vision du monde. Il faut aussi accepter le doute, les échecs, les moments de vide : ils font partie du chemin. Et surtout, entourez-vous de bonnes personnes. L’art n’est pas un parcours solitaire. Les rencontres, les échanges, les collectifs comme Photosa que j’ai rejoints, m’ont beaucoup portée.

Croyez en vous, croyez en votre voix même si elle semble fragile au début ! Avec du travail et de la persévérance, elle trouvera sa place.

Pour plus d’informations sur le travail de Soum Eveline,

La Rédaction.

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