Jeune artiste incontournable de la scène contemporaine sénégalaise, Ibrahima Balayra (né en 1997 à Louga), développe une pratique artistique singulière, ancrée dans les réalités sociales et culturelles de son environnement, où la femme est le pilier symbolique d’une société en constante recomposition et les immeubles sont des preuves de modernité, mais aussi celles de l’oubli, de l’écrasement et de la perte de repères
Il est notre Coup de Cœur.

Photo : DR.
Asakan : Pour commencer notre entretien, pouvez –vous vous présenter ?
L’Artiste : Je m’appelle Ibrahima Balayara dit “Balayara”. Je suis un artiste plasticien engagé dont l’œuvre interroge l’identité, les traditions et la place de la femme dans les sociétés contemporaines africaines. Je vis et travaille à Dakar au Sénégal et je suis représenté par la Galerie sénégalo-suisse Les Arts du Soleil.
Asakan : Quelle définition faites-vous de l’art ? Comment percevez-vous l’art contemporain ?
L’Artiste : L’art est, pour moi, un mode de vie, une manière de penser le monde, de l’inventer, de le transcrire. Il nous permet d’apprendre sur nous-mêmes et de mieux comprendre notre environnement immédiat, lointain et les peuples qui ont précédé dans la marche du monde.
Avec l’art contemporain, on ne fait plus de l’art juste pour la beauté ou l’esthétique. C’est un moyen d’expression par lequel les artistes pensent notre monde et désillent notre regard sur les choses qu’on peut mieux faire. C’est un art qui engage la réflexion, l’humain et le Société dans sa forme et dans son fond.
Asakan : Quand avez-vous su que vous consacriez votre vie à l’art ?
L’Artiste : Je ne peux pas dire qu’il y a eu un jour précis, une révélation soudaine. C’est venu progressivement, comme une évidence qui s’impose avec le temps.
Très jeune, j’étais attiré par le dessin, par la manière dont une simple ligne pouvait raconter une histoire. Je passais des heures à observer les gens, les gestes, les paysages de mon village à Louga. Je ressentais déjà ce besoin de traduire le monde avec mes mains, de donner une forme à ce que je ressentais. Mais c’est vraiment en entrant à l’École Nationale des Beaux-Arts de Dakar en 2018 que j’ai compris que ce n’était pas juste une passion, mais une vocation. J’ai découvert d’autres regards, d’autres approches, et surtout, j’ai trouvé un espace où je pouvais m’exprimer librement, profondément. C’est là que j’ai su que l’art n’était pas seulement ce que je faisais, plutôt ce que je suis.
Depuis, chaque œuvre, chaque geste que je pose sur une toile, c’est une manière de dire au monde : voici ce que je vois, ce que je ressens, ce que je défends.

Courtesy de l’Artiste et de la Galerie Les Arts Du Soleil

Courtesy de l’Artiste et de la Galerie Les Arts Du Soleil

Courtesy de l’Artiste et de la Galerie Les Arts Du Soleil

Courtesy de l’Artiste et de la Galerie Les Arts Du Soleil
Asakan : En tant qu’artiste, comment décririez-vous votre art ? Comment êtes-vous parvenu à la finalisation de votre empreinte ?
L’Artiste : Mon art est une conversation entre mémoire et modernité, entre le visible et l’invisible. Je travaille principalement autour de la femme, de son environnement, et des valeurs culturelles de notre société. La femme, pour moi, n’est pas juste un sujet : elle est le pilier, la mémoire vivante, le cœur de la vie, la source de transmission. À travers elle, je raconte des histoires de résilience, d’identité, de silence et de force.
Mon art est aussi engagé. Il questionne l’impact de la ville, de l’urbanisation, des constructions modernes sur nos vies et nos traditions. C’est pour cela que j’ai choisi de remplacer la chevelure de mes personnages par des immeubles : ce n’est pas un simple effet visuel, c’est un langage symbolique. Ces bâtiments sont comme des poids, des marques, parfois des cicatrices. Ils parlent de développement, oui, mais aussi d’oubli, d’écrasement, de perte de repères.
Ce style que j’ai développé n’est pas né du jour au lendemain. Il est le fruit de recherches, de doutes, d’expériences et d’observations. À mes débuts, sous le nom de Pipeuhart, j’explorais différentes voies. Mais il me manquait quelque chose de plus personnel, de plus ancré. En 2021, lorsque j’ai décidé de signer Balayara, c’était aussi une façon pour moi de revendiquer pleinement mon identité, mon lien avec mes racines, avec Louga, avec ce que je porte en moi depuis toujours, j’ai commencé à avoir un un langage visuel unique, reconnaissable entre tous, et pleinement chargé de sens. Cependant, cette écriture reste vivante et évolutive. Elle est en mouvement, à l’image des sociétés que j’interroge.

Courtesy de l’Artiste et de la Galerie Les Arts Du Soleil

Courtesy de l’Artiste et de la Galerie Les Arts Du Soleil

Courtesy de l’Artiste et de la Galerie Les Arts Du Soleil

Courtesy de l’Artiste et de la Galerie Les Arts Du Soleil

Courtesy de l’Artiste et de la Galerie Les Arts Du Soleil
Asakan : Quelles sont vos inspirations artistiques, vos influences ? Les thèmes et émotions que vous essayez de transcrire dans vos œuvres ?
L’Artiste : Mes inspirations viennent d’abord de mon environnement proche : les femmes, les enfants que je rencontre dans mon quotidien, les scènes de vie dans mon village à Louga et dans la ville de Kaolack où j’ai grandi, les coutumes et traditions qui façonnent nos identités. Ce sont ces instants simples, parfois silencieux, mais profondément humains, qui nourrissent ma création.
Je m’inspire aussi de l’architecture urbaine, non pas comme une fascination pour la ville, mais interroger la tension entre le béton et l’humain, le progrès et la mémoire. Ainsi, ces bâtiments, que je place à la place des cheveux, symbolisent cette pression moderne sur nos corps, nos pensées, notre vivre ensemble, nos cultures.
Artistiquement, je suis influencé par des artistes africains contemporains qui valorisent la culture locale avec un regard critique, et également par tous les créateurs internationaux qui utilisent la symbolique et la métaphore visuelle avec force. Je me sens proche de ceux qui narrent leurs histoires à travers l’image, sans forcément chercher l’esthétique pure, mais plutôt la vérité.
Asakan : Quel est le regard porté sur votre travail par le public ? Par le milieu artistique ?
L’Artiste : Le public, surtout au Sénégal, porte souvent un regard curieux et touché sur mon travail. Beaucoup se reconnaissent dans mes œuvres, même sans forcément connaître les codes de l’art contemporain. Ils se voient, ils voient leurs mères, sœurs, quartiers, traditions dans mes personnages. C’est ce lien direct avec le réel qui, je pense, crée une émotion immédiate. Certains s’étonnent, s’interrogent en voyant leurs chevelures remplacées par des immeubles, mais ils comprennent vite que ce n’est pas un effet gratuit — c’est une métaphore de leur propre quotidien.
Dans le milieu artistique, mon travail est accueilli avec respect, surtout pour sa cohérence et son engagement symbolique. On reconnaît ma signature visuelle, ce qui est essentiel pour un artiste: marquer les esprits tout en gardant une démarche authentique. J’ai notamment eu la chance d’être primé dans plusieurs concours, dont celui de l’Union Européenne en 2022 où j’ai obtenu la deuxième place. Ces distinctions ont renforcé la légitimité de ma pratique et m’ont ouvert des portes vers des collaborations et des expositions plus larges.
Ceci dit, je reste conscient que le chemin est encore long. Le monde de l’art peut parfois être fermé, élitiste. Mais je crois que l’authenticité, la persévérance et la profondeur du message finissent toujours par être reconnus. Ce qui me porte, c’est que mon travail parle aux gens, qu’il crée du lien, qu’il fait trace.
Asakan : Quels conseils aimeriez-vous transmettre à d’autres jeunes désireux de se lancer dans l’art?
L’Artiste : D’abord, croyez en ce que vous portez en vous. L’art, ce n’est pas seulement une question de technique ou de diplôme — c’est d’abord une voix intérieure, une sensibilité qu’il faut écouter et cultiver. Si vous ressentez ce besoin profond de créer, de dire quelque chose à travers des formes, des couleurs, des matières… alors vous êtes déjà un ou une artiste.
Mais il faut aussi comprendre que le chemin de l’art n’est pas facile. Il demande de la discipline, de la patience et du courage. Il y aura des moments de doute, des critiques, des silences. Ne vous laissez pas décourager. Continuez à travailler, expérimenter, chercher votre propre langage. Ne copiez pas les autres — trouvez ce qui est vrai en vous, ce qui vient de votre histoire, de vos racines, de votre vécu.
Entourez-vous ensuite de gens qui vous élèvent, pas qui vous freinent. Cherchez l’apprentissage, restez ouverts, mais gardez toujours votre propre vision. Et surtout: n’attendez pas que tout soit parfait pour commencer. L’art, c’est aussi apprendre en avançant, se découvrir en créant.
Enfin, rappelez-vous que votre art a une valeur, même si ce n’est pas toujours reconnu tout de suite. Il peut toucher des cœurs, ouvrir des regards, faire réfléchir. Et ça, c’est déjà immense.
Pour plus d’informations sur le travail de Ibrahima BALAYARA,
La Rédaction.