Née en 1988 à Constantine, El Meya a étudié à l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts d’Alger d’où elle est sortie diplômée en 2013. Ses œuvres, toutes dans une forme de figuration fantastique et symbolique, puisent dans l’imaginaire collectif de son pays natal entre images orientalistes et iconographie de la guerre d’indépendance pour livrer, dans un curieux morcellement, son regard sur l’Algérien et l’Algérienne d’aujourd’hui, ainsi que sur la femme, ses rêves, ses désirs, ses péchés, ses formes de vie et sa sociabilité.
Coup de cœur.

Crédit photo : Aura Studio dz
Asakan : Pour commencer notre entretien, pouvez –vous vous présenter ?
L’Artiste : Je m’appelle Maya Benchikh El Fegoun, mais mon nom d’artiste est EL MEYA. Je suis artiste peintre algérienne, née en 1988 à Constantine, une ville de l’est de l’Algérie. Après un passage à l’École supérieure des Beaux-Arts d’Alger, où j’ai obtenu mon diplôme en 2013, j’ai choisi de me consacrer pleinement à la peinture.
Ma peinture est figurative, autobiographique. Chaque toile est une sorte d’autoportrait déguisé, où fragments de moi et mémoire collective se croisent et dialoguent.
À travers mes œuvres, je questionne l’histoire, les représentations du féminin, les images héritées de l’orientalisme et de la période coloniale, en cherchant à déconstruire et à réinterpréter ces visions sous un prisme plus personnel et contemporain.
Aujourd’hui, je vis et travaille à Alger, où je poursuis ma recherche artistique, en explorant toujours plus cette frontière entre le personnel et l’universel, entre le réel et l’imaginaire.
Asakan : Quelle définition faites-vous de l’art ? Comment percevez-vous l’art contemporain ?
L’Artiste : Pour moi, l’art est un outil puissant qui permet à chaque artiste de déconstruire, d’interroger et de révéler ce qui traverse sa société. Il ne se limite pas à l’esthétique ou à la technique : il questionne, il dérange parfois, il met en lumière ce qui est enfoui.
Dans mon travail, je puise autant dans mon histoire personnelle que dans une mémoire plus large, collective. Mes interrogations intimes se mêlent à des questionnements plus vastes, et c’est dans cet entre-deux que mes peintures prennent forme. J’aime jouer avec la frontière entre réel et imaginaire, troubler les repères pour amener à une réflexion plus profonde.
L’art contemporain, tel que je le perçois, est un champ ouvert et en perpétuelle mutation. Il nous oblige à repousser les limites de la représentation, à interroger ce que nous voyons et comment nous le voyons. Il permet aussi de revisiter l’histoire de l’art et ses héritages, de les confronter au présent. C’est dans cette dynamique que je m’inscris, en explorant les récits populaires, l’orientalisme, les images coloniales et la place du féminin dans ces constructions visuelles.
Asakan : Quand avez-vous su que vous consacriez votre vie à l’art ?
L’Artiste : J’ai toujours su que je voulais créer, mais sans savoir exactement comment. Au lycée, cette envie était là, mais elle restait floue, insaisissable. Après mon bac, je choisis d’intégrer l’École des Beaux-Arts d’Alger, en design graphique, pensant que c’était la bonne voie pour moi. Mais très vite, en deuxième année, je me détache du graphisme pour me laisser totalement absorber par la peinture.
Ce qui m’attire dans la peinture, c’est le rapport à la matière, le geste, le fait d’être en mouvement et en continuel construction avec la toile. C’est ce besoin presque instinctif qui me pousse vers les grands formats, où je peux travailler avec tout mon corps, entrer pleinement dans l’acte de peindre.
Après cinq années aux Beaux-Arts, une chose devient claire : je ne peux pas faire autre chose. L’art n’est pas juste un moyen d’expression, c’est un besoin vital, une manière d’être au monde. C’est à ce moment-là que je décide de m’y consacrer pleinement, d’en faire mon métier et mon chemin de vie.
Asakan : En tant qu’artiste, comment décririez-vous votre art ? Comment êtes-vous parvenue à la finalisation de votre empreinte ?
L’Artiste : Ma peinture est figurative, elle oscille entre réel et imaginaire, créant une atmosphère à la fois étrange et intrigante. J’aime jouer avec cette ambiguïté, troubler les repères, amener le spectateur à s’interroger sur ce qu’il voit et ce qu’il ressent.
Mon travail a aussi une dimension autobiographique. Mes autoportraits s’entrelacent aux thèmes que j’explore, tissant un dialogue entre mes propres questionnements et des préoccupations plus larges. Peu à peu, l’autoportrait cesse d’être un simple reflet : il se fond dans la scène, devient un personnage parmi d’autres, une présence qui s’intègre au récit.
L’art est un lieu où se mêlent mes doutes, mes intuitions et ma vision du monde. Il me permet de donner corps à mes pensées, mais surtout de tisser des liens entre l’intime et le collectif, de changer de perspective, de bousculer les évidences et d’insuffler du sens là où tout semblait figé.
Mon art s’est construit naturellement, au fil des années, en explorant, en cherchant et en expérimentant. Il n’est pas figé, mais plutôt un processus vivant, en perpétuelle évolution.

Courtesy de l’Artiste Crédit photo : Mehdi Hachid

Courtesy de l’Artiste Crédit photo : Mehdi Hachid
Asakan : Quelles sont vos inspirations artistiques, vos influences ? Les thèmes et émotions que vous essayez de transcrire dans vos œuvres ?
L’Artiste : Mes inspirations sont multiples et se nourrissent autant de l’histoire de l’art que de mon propre vécu. Passionnée de peinture moderne et contemporaine, je cherchais un ancrage pictural et visuel de ma peinture dans l’histoire de l’art. Cette recherche m’a menée vers les récits populaires, la mémoire collective et la représentation du féminin, en écho à ma société algérienne, tels que les peintures orientalistes et les traces laissées par les images coloniales dans notre inconscient collectif. Ces représentations, souvent figées et stéréotypées, continuent d’influencer notre regard, notamment sur la femme. À travers ma peinture, j’essaie de déconstruire cette vision coloniale et masculine sur la représentation du féminin dans l’art orientaliste, de la questionner, de la détourner pour en proposer une lecture plus intime et contemporaine.
Dans mon travail, je cherche aussi à explorer la frontière entre le réel et l’imaginaire, à créer des images qui intriguent et questionnent. L’étrangeté, l’ambivalence des figures, la façon dont les corps et les visages se transforment, sont des éléments récurrents. Mon approche est aussi autobiographique : mes autoportraits se mêlent aux scènes que je peins, créant un dialogue entre mes questionnements personnels et des préoccupations collectives.
Ce qui m’anime avant tout, c’est l’envie de révéler, d’interroger, de bousculer, tout en laissant place à l’émotion et à l’interprétation personnelle du spectateur.

Courtesy de l’Artiste Crédit photo : Hichem Merouch


El Meya, « La politique se peint en plein air », 2019-2020. Acrylique sur toile, 193× 266 cm
Courtesy de l’Artiste Crédit photo : Hichem Merouch

Courtesy de l’Artiste Crédit photo : Jc Lett

Courtesy de l’Artiste

Acrylique sur toile, 204 x 138 cm
Courtesy de l’Artiste
Asakan : Quel est le regard porté sur votre travail par le public ? Par le milieu artistique ?
L’Artiste : Quand je peins, je ne me projette pas dans un espace ou pour un public précis. Pour moi, la peinture appartient à tous, et chacun l’interprète selon son propre regard. Autant de lectures différentes de mon travail, enrichies par la diversité des sensibilités et des contextes de chacun. Le regard porté sur mon travail varie donc selon le public et le milieu artistique.
Le public réagit souvent à l’atmosphère de mes peintures, à ce mélange entre réel et imaginaire, entre attraction et malaise. Beaucoup ressentent une étrangeté intrigante, notamment dans ma manière de représenter le féminin, parfois dérangeante, parfois familière. J’aime provoquer cette ambiguïté, pousser le spectateur à interroger ses propres références et perceptions.
Dans le milieu artistique, mon travail est perçu comme une réflexion sur l’histoire de l’art, mais aussi comme une remise en question des représentations héritées, notamment celles de l’orientalisme et des images coloniales.
Les retours que je reçois montrent que ce qui interpelle d’abord dans mon travail, ce n’est pas seulement l’esthétique, mais surtout le sujet et le questionnement qu’il soulève. Mon approche personnelle des thématiques intrigue et amène à la réflexion. L’atmosphère étrange qui s’y dégage attire en premier lieu, suivie par l’esthétique – la composition, les couleurs, l’agencement des formes, qui viennent renforcer cette tension et ce dialogue visuel.
Ces échanges, qu’ils viennent du public ou du monde de l’art, sont essentiels pour moi. Ils nourrissent ma recherche et me permettent de voir mon travail sous d’autres angles, de mieux comprendre ce qu’il déclenche chez l’autre et comment il s’inscrit dans une réflexion plus large.
Asakan : Quels conseils aimeriez-vous transmettre à d’autres jeunes désireux de se lancer dans l’art ?
L’Artiste : Se lancer dans l’art demande du temps, de la patience et beaucoup de travail. Il faut accepter que le développement de son art et de ses idées soit un processus long et évolutif, qui demande une remise en question constante. Rien n’est figé, tout se construit au fil des expériences et des recherches.
Cependant le plus important, c’est de croire en soi et en son travail. C’est cette conviction qui permet de tenir, de progresser et de ne pas lâcher, même dans les moments de doute, de fragilité et de solitude.
L’art demande beaucoup, mais quand on y met du cœur et qu’on s’accroche, il devient une façon de se réaliser pleinement.
Pour plus d’informations sur le travail d’El Meya,
- Son compte Instagram.
La Rédaction.