C’est un projet d’une vie qu’a imaginé l’artiste de Dagana, une preuve que l’art et la culture peuvent changer le monde. Ou tout au moins, apporter un peu plus de lumière, de liberté en ces temps troublés. Et ça s’appelle le Musée FUDDU. Par FUDDU, entendez « un souverain peut tout interdire à ses sujets, excepté de s’étirer ».


Un tourisme mémoriel au Walo, à Dagana, une ville située sur les berges du fleuve Sénégal qui agit tel un régulateur thermique sur la canicule qui sévit actuellement dans cette partie du pays de la Téranga, permet de mieux se connecter à la mémoire collective et aux narratifs sur la résistance féminine Walo-Walo contre la colonisation. Dans cette ville chargée d’histoires, de manifestations, de mouvements de protestation communautaire, de luttes pour défendre les droits humains et le territoire, il convient de s’arrêter à l’espace FUDDU et de se familiariser avec son fondateur Papa Aïdara dont la démarche fait l’esprit du lieu.
Papa Adi Cumba Aïdara (PACA) explore les questions d’identité, d’indépendance, de justice sociale, de préservation de l’environnement et de transmission de la sagesse collective.


Surfer sur ses illustrations est une invite à questionner la nature même du lieu qui abrite sa production. Il s’agit d’un espace de recueillement, appelé (Musée FUDDU), qui peut renvoyer au sanctuaire de feu Issa Samb à la rue Jules Ferry. FUDDU est un espace à ciel ouvert, dans la ville natale de Papa Aïdara, à Dagana, au Walo.
Un espace atypique
FUDDU paraît être un jardin où la couverture végétale locale est en permanente restauration depuis 42 ans. Pour cause, son fondateur, à plus de 80 ans de vie, continue à s’investir dans le reboisement pour prévenir la dégradation environnementale, qui contraint aujourd’hui la communauté Walo-Walo à migrer vers d’autres régions présentant des conditions climatiques plus favorables.
FUDDU ressemble à une caricature de musée ethnographique d’héritage colonial, du fait d’une part, de la présence de reliques d’époques et, d’autre part, de l’exposition de symboles religieux et d’anciens accessoires d’art funéraire. Ici, la scénographie et les procédures de conservation défient les normes qui sont adoptées dans les autres espaces muséaux. FUDDU se présente avec une allure de pàkku làmbaay (antiquaire).
FUDDU a l’apparence attractive d’une enseigne d’antiquaire en métal, capable d’absorber et de transférer la chaleur ambiante. On s’empresse de se réfugier dans ce micro climat pour se rafraichir et pour atténuer les effets dévastateurs de la canicule sur la vie et sur l’habitat naturel des espèces animales.


Au Musée FUDDU, les possibilités créatives du fer sont interrogées. Le fer en tant que matériau malléable, et magnétique selon ses états. D’ailleurs le fer a attiré beaucoup d’autres artistes contemporains avant Papa Aïdara. Le Ghanéen El Anatsui, les deux Sénégalais Guiibril André Diop et Ndary Lô se sont aussi notamment fait remarquer pour avoir utilisé le fer dans leurs œuvres.

Un lieu d’histoire, de philosophie africaine et de vie
L’espace FUDDU est aussi et surtout un cadre d’expression, un lieu de transmission de la philosophie africaine et des savoirs ancestraux, un canal à travers lequel a éclos le festival Dialawaly dont la 5ème édition vient de se tenir avec l’artiste chanteur Souleymane Faye en tête d’affiche.
Mais si FUDDU existe, c’est surtout par la volonté de son promoteur. Pour lui, il est important de préserver le patrimoine historique, culturel et environnemental de l’écosystème Walo-Walo. L’espace FUDDU offre à ce titre une expérience éducative enrichissante aux visiteurs.
Pour remonter dans l’histoire, c’est à partir de 1999 que l’idée prend forme à la suite du départ à la retraite de Papa Aïdara en tant qu’enseignant. Il choisit alors de vivre en ermite, déconnecté des gadgets de la modernité, un peu en marge de la société, pour mieux se connecter à son héritage culturel et environnemental, tout en poursuivant son travail d’enseignant et maintenant de chercheur en dehors des murs de l’école. Pour ce faire, il mobilise toutes les ressources qui sont à sa portée pour vulgariser et valoriser les préceptes de vie ancestrale des communautés Wolof et assurer une communication intergénérationnelle en faisant dialoguer les jeunes et les vieux à travers un large répertoire de proverbes africains.

et Moustapha promoteur du festival Dialawaly
Un lieu de mémoire et de transmission
Papa Aïdara adopte donc une démarche pédagogique récursive dans l’histoire, dans les contes, dans les légendes et dans les adages pour transcrire le patrimoine immatériel Wolof de manière beaucoup plus intelligible et accessible aux non-initiés. Il s’enflamme dans l’interprétation des préceptes africains que les communautés Walo-Walo ont en partage depuis des générations. Il prend des exemples concrets, tirés du quotidien des visiteurs pour démontrer le caractère intemporel des leçons de vie qui sont léguées par les anciennes générations. Ce qui encourage les visiteurs du FUDDU à s’interroger davantage sur leur propre identité et sur leur place dans le monde.
Mieux, le fait que les proverbes wolof sont disséminés dans le décor de l’espace FUDDU, incite les visiteurs à revenir chaque fois qu’ils ont besoin de se ressourcer, d’avoir de bons conseils découlant de l’expérience et de la sagesse collective. Ainsi, l’espace FUDDU est-il devenu tout naturellement, au fil du temps, un lieu de mémoire qui participe au renforcement de l’estime de soi des visiteurs.

Ces proverbes renforcent le sentiment d’appartenance à la communauté et orientent le public vers une vie plus épanouissante et un développement personnel. La production de Papa Aïdara rappelle celle de l’artiste sculpteur Sénégalais Mamady Seydi qui s’inspire également de proverbes africains.
Cet espace est un moyen de redécouverte des valeurs culturelles traditionnelles communautaires qui ont survécu aux objectifs de la « mission civilisatrice coloniale ». Papa AÏdara est un passeur qui a compris la nécessité de sauvegarder et de promouvoir les savoirs, tous les savoirs hérités du passé pour construire le présent et se projeter dans un avenir meilleur.


Activités pédagogiques « green artistique » avec les enfants du terroir en vacances scolaires
Ce lieu invite surtout les générations actuelles et futures à se reconnecter avec la nature bienveillante dans un contexte de sécheresse lequel élève davantage les températures au Walo, crée des pénuries d’eau, entraine la mort du bétail et la diminution des rendements agricoles. Au Walo comme partout ailleurs dans les régions sahéliennes désertiques, « la peau de la terre a été perforée, la chair mise à nue ». Papa Aïdara a compris l’importance de la vie végétale et de la préservation de la biodiversité sur le bien-être humain et sur l’écosystème. Il restaure la biodiversité dans l’espace FUDDU.
Enfin, la production de l’auteur, Papa Aïdara, pose la problématique de la transcription de l’oralité dans l’art conceptuel. Autant il est important de préserver les traditionnels modes de transmission de l’oralité africaine plus sensibles, autant, il faut les moderniser pour mieux les diffuser, par le moyen des nouvelles technologiques de l’information et de la communication à travers la performance filmée, la vidéo ou même l’enregistrement audio.
Ndeye Rokhaya Gueye
Enseignante des Arts
Musée FUDDU
Dagana, Région de Saint-Louis, Sénégal
Jours et heures d’ouverture : Tous les jours de 9h30 à 18h30
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