Figure majeure de la scène artistique contemporaine et co-fondateur de la Biennale de Sculpture de Ouagadougou (BISO), Christophe Person a ouvert sa galerie éponyme à Paris en décembre 2022 pour défendre les artistes d’Afrique et de sa diaspora. Trois ans plus tard, la galerie s’est agrandie avec l’ouverture d’un nouvel espace à Bruxelles. Dans cet entretien, il livre son récit sur le combat autant intime que passionné qui l’anime et jette un regard sans concession sur le marché de l’art africain contemporain.

Crédit Photo: Maximilien Sporschill
Asakan: Parlez-nous un peu de vous, de votre parcours et de votre première expérience avec l’art?
Christophe Person: Après une dizaine d’années d’expérience dans le monde de la finance, j’ai décidé d’assouvir ma passion pour la création artistique en changeant radicalement de voie pour embrasser une toute nouvelle carrière dans le marché de l’art. J’ai quitté le poste que j’occupais dans un groupe bancaire à Paris pour entamer un master spécialisé en Art Law and business à Londres chez Christie’s éducation. C’est lors de cette formation que j’ai approfondi mes connaissances sur le marché de l’art contemporain africain. Au sortir, j’ai eu la chance de développer les ventes aux enchères chez Piasa à Paris puis ensuite chez Artcurial. Ces expériences m’ont offert l’opportunité d’occuper un rôle central d’observateur de ce marché.
Asakan: Pourquoi avez-vous choisi ensuite le métier de galeriste ?
Christophe Person: J’ai choisi ce métier avant tout car je suis moi-même collectionneur et passionné d’art. Il me permet d’être en contact avec la création à son origine, c’est-à-dire en relation avec les artistes qui sont au centre du dispositif puis avec toute la chaîne d’acteurs qui constituent l’écosystème artistique.


Galerie Christophe Person – Bruxelles
Asakan: Quelle ligne artistique suivez-vous ? Comment sélectionnez-vous vos artistes ?
Christophe Person: Après 10 ans sur cette spécialité, je continue sur la promotion des Artistes Africains et de la Diaspora. Mon objectif lorsque j’expose le travail d’un artiste est de montrer la façon dont un sujet qui de prime abord semble spécifique à une réalité géographie peut également porter un message universel.
A titre d’illustration, nous avons révélé lors du 10e anniversaire du salon AKAA à Paris, la dernière série de photographie du Burkinabé Nyaba Léon Ouedraogo réalisée sur le site du lac de Bazoulé en dehors du Burkina Faso. Ce lac abrite un écosystème qui compte près de 280 Crocodiles qui sont considérés comme sacrés par les populations locales. Les habitants aux alentours ont une pratique d’offrandes à ces crocodiles et leur vouent un certain respect. Lorsqu’un crocodile meurt un cérémoniel accompagne son enterrement près d’un baobab. Aujourd’hui le Burkina Faso est impacté par le dérèglement climatique et se pose la question de l’assèchement de ce lac et de la disparition programmée de ces reptiles. Au travers de cette série, l’artiste nous interroge : Que se passerait-il si le lac disparaît ? Que se passerait-il si les crocodiles s’éteignaient ? En prenant comme exemple la réalité du contexte spécifique de la région du lac, Ouedrago met l’humanité face à son destin.

Photographie Fine Art Baryta Hahnemühle, 100 x 70 cm Edition of 3 plus 2 artist’s proofs
Courtesy de l’Artiste et de la Galerie Christophe Person
Asakan: De toutes les façons dont une galerie peut soutenir ses artistes, laquelle ou lesquelles appréciez-vous ?
Christophe Person: Tous les moyens possibles pour moi de consacrer du temps aux artistes afin de mieux les comprendre et mieux les connaître sont une grande source de satisfaction et de découverte. Pour ce faire, j’essaie d’une part de me déplacer autant que je peux. Je profite en règle générale d’un événement comme une biennale, une art-week, ou une exposition pour me déplacer dans un pays. S’il n’existe pas d’évènement alors je me déplace seul ou accompagné pour rencontrer les artistes, visiter les studios, et découvrir les opérateurs locaux. Un autre moyen de renforcer la collaboration avec les artistes de la galerie est de les accueillir en résidence ou bien de faciliter leur venue. Par exemple, depuis l’ouverture de mon espace Bruxellois, ce sont trois artistes : Olga Yameogo, Fally Séne Sow et Arnold Fokam qui ont pu venir travailler pendant quelques semaines à Bruxelles. Deux fois dans la résidence PIC/MOL de Éric Haegelsteen et une fois au sein même de ma galerie.

Pigments, encres, acrylique et huile sur toile, 150 x 196 cm
Courtesy de l’Artiste et de la Galerie Christophe Person

Technique mixte sur toile, 200 x 122 cm
Courtesy de l’Artiste et de la Galerie Christophe Person

Acrylique sur tirage photo, 30 x 40 cm
Courtesy de l’Artiste et de la Galerie Christophe Person
Asakan : Si on devait vous demander un bilan des collaborations avec vos artistes, que répondriez-vous?
Christophe Person: De mon point de vue, les relations humaines sont toujours enrichissantes, quelles qu’elles soient et c’est particulièrement vrai avec les artistes.
Asakan: Qu’en est-il de vos rapports avec les collectionneurs ?
Christophe Person: Ce sont les collectionneurs privés et les institutions qui sont les principaux financeurs de la création artistique. Le rôle des galeries est de les orienter vers des travaux des artistes que nous représentons avec des propositions pertinentes et la conviction de la valeur artistique de leurs œuvres.
Asakan : Quel regard portez-vous sur le marché de l’art contemporain africain ?
Christophe Person: Comme tous les aspects de l’économie de marché, le marché de l’art contemporain africain est en dynamique permanente. Il a bénéficié d’une visibilité inouïe au cours des dernières décennies, ce qui a constitué un rattrapage bien légitime pour la création africaine. L’intérêt du marché pour les artistes africains et noirs américains a engendré pour ces artistes des opportunités incroyables de créer, d’exposer et de vivre de leur travail. Assez naturellement la profusion d’offre de qualité variable a entraîné une certaine forme de lassitude. Ce qui est arrivé au moment même où l’économie en général a été fortement impactée par les nombreux bouleversements géopolitiques qui sont encore aujourd’hui la préoccupation d’une grande partie de l’humanité. Les traditionnels consommateurs d’arts que sont les institutions et les collectionneurs privés ne sont pas épargnés par cette anxiété. C’est pour ces raisons multiples que le marché de l’art contemporain africain connaît aujourd’hui un net ralentissement. La patine du temps nous aidera à l’avenir à bien comprendre les tenants et les aboutissants de ce phénomène. Ce nouveau contexte n’en est pas moins favorable aux artistes talentueux dont les travaux ont du sens et sont pertinents.. La patience néanmoins est aujourd’hui de mise.
Asakan: Pour vous, quel est le plus grand défi auquel l’art contemporain africain aura à faire face dans les années à venir ?
Christophe Person: Au cours des 15 dernières années, on peut dire que les artistes africains sont entrés dans le grand bain. Il leur revient désormais de trouver les moyens de naviguer dans cet écosystème.
Asakan: Quel rôle les États peuvent-ils jouer dans l’essor du marché de l’art ?
Christophe Person: Dans le cas particulier des pays Africains, le soutien à la création ne doit pas nécessairement passer par les dynamiques de marché. Ils peuvent aussi accompagner la création en soutenant les initiatives locales permettant les expositions, telles que les biennales, les prix, les temps forts dans l’année comme les art-week lors desquelles les acteurs peuvent se fédérer. Comme c’est le cas dans un nombre croissant de pays, tels que par exemple au Bénin ou bien au Nigeria, la création de musées dotés de collections porteront sans aucun doute leurs fruits s’agissant de faire rayonner l’art africain.
Asakan: Que pensez-vous des foires qui se multiplient de plus en plus et semblent devenir indispensables pour les galeries ?
Christophe Person: La participation aux foires est nécessaire pour faire connaitre les artistes auprès du grand public et des collectionneurs, à une période où ceux-ci sont moins enclins à visiter les expositions en galeries. C’est aussi un investissement très lourd dont la galeries prennent l’intégralité la charge : location de stand, transport des œuvres, déplacement et hébergement des collaborateurs et frais sur place, avec un bénéfice financier aléatoire, ce qui impose à bien choisir les foires qui offrent un vrai service à leurs clients.
Asakan: Comment envisagez-vous le futur de votre galerie ?
Christophe Person: Je souhaite au-delà de la galerie d’être l’animateur d’un système intégré autour de nos deux lieux d’exposition à Paris et à Bruxelles, pour valoriser au travers de plusieurs canaux le travail des artistes que je représente. Cela passe par des expositions intelligentes pour lesquelles il m’arrive de solliciter de l’aide extérieure pour apporter au travers de texte ou d’une curation un nouveau regard sur le travail des artistes. Cela passe également par accompagner les artistes dans les dossier de candidatures à des prix, des résidences de façon à les faire connaitre des acteurs du monde de l’art à l’international. Enfin la participation à des événements et mettre en place des expositions en Afrique, comme nous l’avons fait à deux reprise dans le cadre des deux OFF de la dernière Biennale de Dakar. Le soutien de BISO, la Biennale de Sculpture de Ouagadougou, dont la quatrième édition se tiendra en novembre participe de cette stratégie en offrant aux artistes une parenthèse de création de quelques semaines dans le contexte du Burkina Faso.
Un des artistes de la galerie, Thiémoko Claude Diarra y participe et développe un projet autour de l’animiste. Pour Diarra, dont le père était sculpteur traditionnel au Mali et la mère était infirmière en Belgique, c’est un sorte de retour aux sources. Il s’intéresse à la façon dont un artiste contemporain peut traiter de l’animisme en 2025, en intégrant techniques traditionnelles et les connaissances que nous avons des sciences de l’univers.

Pigments de terre sur papier, 29.7 x 42 cm
Courtesy de l’Artiste et de la Galerie Christophe Person
Asakan: Selon vous, pourquoi l’art est-il si important pour nos vies ?
Christophe Person : L’art est important car à travers des œuvres, les artistes s’adressent à notre inconscient. Ils nous font réfléchir sur les enjeux de société universels même si les sujets traités sont spécifiques à une période ou une géographie. Ils offrent à toucher de près à la création.
Asakan: Quels conseils donneriez-vous à celles et ceux qui souhaiteraient suivre vos traces ?
Christophe Person: S’inscrire dans le temps long.
Galerie Christophe Person
Paris: Ouverture d’un nouvel espace prevue début 2026
Bruxelles: Rue Émile Claus, 63 1180 Uccle
Ouverture du jeudi au samedi de 11h à 18h ou rendez-vous.
Plus d’infos: christopheperson.com
Instagram: @christopheperson
La Rédaction.


