Coup de Cœur avec l’Artiste Peintre Franco-Haïtienne Jessica Lundi-Léandre

Asakan va ce début de semaine à la rencontre de Jessica Lundi-Léandre, une peintre franco-haïtienne basée à Paris et qui nous est proposée par la Wetsi Art Gallery. L’artiste, qui avait été présentée en 2024 à l’Espace Louis Delgrès à Nantes à l’occasion de sa première exposition individuelle « Demen Limyè Jayi » et réexposée en 2025 dans le cadre du mois de commémoration de l’abolition de l’esclavage, déploie une œuvre qui interroge la place des femmes mises en esclavage et trop souvent oubliées ou invisibilisées dans l’histoire de la Révolution Haïtienne, la famille, la féminité, le corps, et l’enfance.

Elle est notre Coup de Cœur.


Jessica Lundi-Léandre
Crédit photo : ManB Photographie

Asakan : Pour commencer notre entretien, pouvez –vous vous présenter ?

L’Artiste : Je m’appelle Jessica Lundi-Léandre, j’ai 27 ans, je suis une artiste-peintre franco-haïtienne basée à Paris. Je suis née à  Port-au-Prince et je suis arrivée en France quand j’étais enfant. Je peins à l’huile.  Je mets en lumière des perspectives  oubliées, tout en cherchant à révéler la beauté et la tendresse.


Jessica Lundi-Léandre, « Libère oswa Lanmò », 2024.
Huile sur toile, 100 x 100 Collection Demen Limyè Jayi Photo : Jessica Lundi-Léandre
Courtesy de l’Artiste et de la Wetsi Art Gallery

Asakan : Quelle définition faites-vous de l’art ? Comment percevez-vous l’art contemporain ?  

Jessica : L’art est pour moi à la fois un médium d’expression et une manière d’être au monde, de s’émerveiller. L’art insuffle de la curiosité, et il nous permet de nous retrouver.

L’art contemporain est encore un environnement que j’essaie d’apprivoiser. Si la technique académique ou l’esthétisme ne sont plus nécessairement au centre des attentes, je pense qu’il y a une véritable mise en avant des artistes qui cherchent à s’extraire de toute norme et à se réinventer. Je remarque aussi qu’à cause du marché de l’art, beaucoup d’artistes tentent de développer un style distinctif qui leur permettrait d’être reconnus et, peut-être, d’obtenir la reconnaissance institutionnelle à laquelle la majorité d’entre eux aspirent.

Je suis heureuse de voir autant de diversité dans l’art aujourd’hui, cela me confirme que l’art est universel et qu’il n’a pas de limites.


Asakan : Quand avez-vous su que vous consacriez votre vie à l’art ?

Jessica : L’art a toujours fait partie de ma vie, je dessine et je peins depuis toute petite. Je participe à des expositions depuis mes dix ans. J’ai eu aussi la chance d’avoir d’excellentes enseignantes de peinture qui m’ont toujours poussée à sortir de ma zone de confort, ainsi qu’une mère très à l’écoute de mes besoins artistiques.

Après une première année de médecine, je me suis réorientée en faculté d’histoire, où j’ai eu la chance de suivre des cours d’Histoire de l’Art. Au fil de ma première année, je me suis souvent dit : « Et si ? », puis j’ai fini par accepter que ce que je voulais réellement, c’était être artiste peintre. J’ai continué à suivre tous les modules d’Histoire de l’art et je me suis remise à peindre à l’huile, à peaufiner ma technique tout en développant mon œil au contact d’œuvres que je découvrais lors d’expositions principalement à Paris, Nantes et Bruxelles.

J’avais tendance à vouloir toujours être meilleure avant de réellement montrer mon travail, mais une opportunité en amenant une autre, j’ai fini par sauter le pas. J’ai décidé que oui, je suis une artiste peintre et que le but de ma vie sera de créer, de m’exprimer et de transmettre.


Jessica Lundi-Léandre, « Nègès mawon », 2024.
Huile sur toile, 20 x 20 Collection Demen Limyè Jayi Photo : Jessica Lundi-Léandre
Courtesy de l’Artiste et de la Wetsi Art Gallery

Asakan : En tant qu’artiste, comment décririez-vous votre art ? Comment êtes-vous parvenue à la finalisation de votre empreinte ?

Jessica : Si je devais l’expliquer simplement, je dirais qu’il s’agit d’une peinture figurative. Je peins principalement des personnes noires, c’est un paradigme que je ne questionne pas. Je me définis comme une femme afro-féministe.

Nous, les personnes Noires, sommes à la fois une couleur de peau, une identité sociale, mais nous sommes bien plus que cela. Car comme le disait Toni Morrison, « Le racisme est une distraction », et je refuse que tout mon travail tourne autour du fait d’être noire, comme si nous n’étions qu’une couleur de peau qui subit des discriminations, comme si le racisme avait le droit de définir tout notre être. Alors je peins surtout la joie, la tristesse, le bonheur, l’amour, l’émerveillement : tout ce qui compose nos vies dans leur complexité et leur beauté.

Lorsque je peins, je représente des scènes, des émotions, des interactions entre individus: quelque chose de plus profond que la simple idée de « représenter des personnes noires », que je trouve d’ailleurs assez réductrice.

Récemment j’ai commencé un projet autour de la notion de « Lakay » (la maison, chez-soi) en écho aux changements que je vis actuellement. Je me suis rendue compte que toutes mes œuvres tournent autour de cette idée : se sentir chez soi, pouvoir être soi.

Après ma première exposition personnelle Demen limyè Jayi qui abordait la place des femmes esclavagisées dans la révolution haïtienne et l’importance du syncrétisme, j’ai compris que j’avais un processus créatif très influencé par mes années à l’université, avec un besoin de rigueur et de reconnaissance. Pour la plupart de mes projets, il est essentiel pour moi de trouver mes propres références et d’impliquer mes modèles. Je les questionne souvent sur la thématique que je développe dans mes œuvres.

Avec le temps, je me rends compte que je peins, mais que je fais aussi un travail d’archive. J’enregistre, je filme, je crée des documentaires autour de mon processus créatif. Cela me permet de suivre mon évolution mais aussi de partager mon amour du processus et mon affection pour les personnes qui posent, qui se dévoilent, et qui me permettent de faire exister mon art.


Asakan : Quelles sont vos inspirations artistiques, vos influences ? Les thèmes et émotions que vous essayez de transcrire dans vos œuvres ?

Jessica : J’ai de nombreuses influences, mêmes si elles ne se reflètent pas toujours directement dans mes peintures, peut-être parce que je n’ai pas encore atteint la maturité nécessaire pour les traduire pleinement. J’ai été très touchée par le travail abstrait de Frantisek Kupka, mais je suis aussi une grande admiratrice de Sargent, Zorn, et Sorolla. Leur touche est si subtile et pleine de vie que j’aspire à la maitriser un jour pour mieux m’en détacher. Je suis également très sensible au travail d’Artémisia Gentileschi, de Mary Cassatt ou encore de Dorothea Tanning, qui m’a initié à un surréalisme résonnant profondément avec certains aspects de ma vie.

L’émotion que je préfère transmettre dans mes œuvres est l’amour. Je peins réellement avec amour. C’est le sentiment le plus fort, le plus universel, et celui que je chéris le plus. Autrement, mes thèmes sont variés, et tournent souvent autour de la famille, de la féminité, du corps, de l’enfance et de la quête d’appartenance.


Jessica Lundi-Léandre, « La Licorne Noire », 2025.
Huile sur toile, 70 x 100 cm Collection Fragments Photo : Jessica Lundi-Léandre
Courtesy de l’Artiste et de la Wetsi Art Gallery
Jessica Lundi-Léandre, « L’enlèvement », 2025.
Huile sur toile, 38 x 45 cm Collection Frivoles ? Photo : Jessica Lundi-Léandre
Courtesy de l’Artiste et de la Wetsi Art Gallery
Jessica Lundi-Léandre, « Amantes », 2025.
Huile sur toile, 115 x 75 cm Collection Frivoles ? Photo : Jessica Lundi-Léandre
Courtesy de l’Artiste et de la Wetsi Art Gallery
Jessica Lundi-Léandre, « Le Repos », 2022.
Huile sur toile, 40 x 50 cm Collection Frivoles ? Photo : Jessica Lundi-Léandre
Courtesy de l’Artiste et de la Wetsi Art Gallery
Jessica Lundi-Léandre, « Enfance III, jolie fleur », 2023.
Huile sur toile, 50 x 70 Collection Enfance Photo : Jessica Lundi-Léandre
Courtesy de l’Artiste et de la Wetsi Art Gallery
Jessica Lundi-Léandre, « Enfance IV, l’œil le plus bleu», 2023.
Huile sur toile, 50 x 70 Collection Enfance Photo : Jessica Lundi-Léandre
Courtesy de l’Artiste et de la Wetsi Art Gallery
Jessica Lundi-Léandre, « Nativité », 2020.
Huile sur toile, 100 x 100 Collection Demen Limyè Jayi Photo : Jessica Lundi-Léandre
Courtesy de l’Artiste et de la Wetsi Art Gallery

Asakan : Quel est le regard porté sur votre travail par le public ? Par le milieu artistique ?

Jessica : J’ai la sensation que mon travail rassure beaucoup de personnes. On dit souvent que ma peinture est douce et empreinte d’amour, et je me reconnais dans ces mots. Mon travail réconforte en effet, et plus on observe mes œuvres, plus on comprend qu’il faut aller au-delà de cette douceur apparente, qui me permet aussi de transmettre des messages plus durs ou plus subtils.

Il m’est encore plus difficile de déterminer ce que le milieu artistique pense de mon travail. On m’a souvent renvoyé l’image d’une bonne technicienne, mais je crois que mon message n’a pas encore pleinement trouvé son écho.


Asakan : Quels conseils aimeriez-vous transmettre à d’autres jeunes désireux de se lancer dans l’art?

Jessica : Il est toujours difficile de donner des conseils véritablement nouveaux, mais je dirais : croire en soi et être discipliné.e.  On imagine souvent qu’un artiste crée à partir de rien, comme si l’inspiration tombait du ciel. J’ai beaucoup étudié le processus créatif de peintres comme Edward Hopper : si sa touche est indéniable, le travail de préparation, presque mathématique, derrière ses œuvres l’est tout autant. Il croquait, effaçait, recommençait, jusqu’à être satisfait et cela prenait du temps. 

Je dirais aussi qu’il faut accepter que les choses prennent du temps, savoir refuser certaines propositions et croire en sa bonne étoile. Demain, une meilleure opportunité se présentera.

Pour plus d’informations sur le travail de Jessica Lundi-Léandre,

La Rédaction.

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