Educatrice spécialisée, elle est aussi aujourd’hui une créatrice qui impressionne le monde du design avec l’utilisation qu’elle fait du bois et des matériaux revalorisés ainsi que son engagement à créer du lien, ouvrir des espaces, échanger et valoriser sans étiquette ni hiérarchie sociale. Résultat : un travail métissé qui sublime les objets du quotidien.
Coup de Cœur.

Asakan : Pour commencer notre entretien, pouvez-vous vous présenter ?
L’Artiste : Hel;ZA, ce n’est pas mon prénom, c’est la contraction de mes trois prénoms. Je m’appelle Hellen Amewu Zaïna BITATSI, Franco-Ghanéenne. Je suis éducatrice spécialisée et designer, une casquette sociale qui fait partie intégrante du concept Hel;ZA Design.
Asakan : Quelle définition faites-vous de l’art ? Comment percevez-vous l’art contemporain ?
L’Artiste : Dans ma vision, l’art est avant tout un objet profondément social. Il permet à l’individu de se raconter, de poser ses propres mots, ses propres formes. Et à travers cette expression singulière, ce sont aussi les peuples qui transmettent, inventent, transforment.
Je pense que l’art nous relie — entre contemporains, mais aussi à travers les civilisations. Je considère donc que l’art n’est pas seulement une discipline ou un champ de compétence : c’est un mode de communication.
Je suis heureuse de voir que l’art devient de plus en plus accessible. Il circule davantage, dans les discussions, à travers les réseaux sociaux, les médias, les festivals, les projets de territoire… On le voit exister dans toute sa diversité, dans des espaces où il n’était pas toujours attendu. Et ça, c’est essentiel.
Il me semble qu’un décloisonnement est en cours, dans les formes, les lieux, les récits, et surtout les légitimités. Et, en tout cas, aujourd’hui, j’ai l’impression qu’en tant qu’artiste, on imagine moins notre légitimité uniquement après notre mort.
Asakan : Quand avez-vous su que vous consacriez votre vie à l’art ?
L’Artiste : À vrai dire, je ne crois pas avoir véritablement consacré ma vie à l’art — du moins, pas de manière stricte. Depuis petite, je créais, j’inventais des objets, et je voulais dessiner des meubles. Mais mon parcours post-bac m’a menée de la conception industrielle au travail social. C’est dans ce cadre que j’ai commencé à utiliser la création comme médiation éducative, comme beaucoup de collègues de l’accompagnement, principalement en centre d’hébergement.
Faire ensemble, ça permet de bousculer la configuration éducateur/accompagné. Quand une personne du groupe se montre plus apte à expliquer aux autres, ou quand quelqu’un dit « mon grand-père, il faisait comme ça » ou « nous, les caravanes, avant elles étaient en bois », forcément, ça change la narration. Il n’y a rien d’exceptionnel dans mes choix de médiations : nombreux sont les travailleurs sociaux à intégrer la création dans leur pratique. Mais au fur et à mesure, j’ai commencé à développer une identité professionnelle hybride, mêlant création et engagements.
Je ne souhaite plus utiliser la création et l’art comme réponse à une situation, mais plutôt comme un point de départ. La création permet de faire tomber des étiquettes comme « placé·e », « réfugié·e », « déscolarisé·e », mais aussi « fils/fille d’untel », « sorti·e de grande école »… Toutes ces cases qu’on colle, qui figent et invisibilisent le potentiel de chacun. La création peut être un point de départ pour créer du lien, ouvrir des espaces, échanger et valoriser sans étiquette ni hiérarchie sociale.
Pour être plus juste, je dirais alors que je ne consacre pas ma vie à l’art, mais plutôt à questionner ce qui fait société et ce qui nous permet d’y trouver une place : en participant à ce qui nous relie. L’art, finalement, c’est un de mes outils pour ça.

Herbe à Elephant dans le nord du Ghana, enchainement de perles de bois de Padouk issu de chutes
et Perles en verre recyclé géante tradition Krobo
Courtesy de l’Artiste
Asakan : En tant qu’artiste, comment décririez-vous votre art ? Comment êtes-vous parvenue à la finalisation de votre empreinte ?
L’Artiste : Depuis que j’ai choisi d’utiliser la création comme outil quotidien, je conçois du mobilier et des objets que j’appelle « métissés ». Mes créations pourraient inciter à qualifier mon travail d’« ethnique », mais je refuse ce terme, qui, je pense, réduit et hiérarchise. S’il y a une référence culturelle dans ce que je crée, je tiens à la définir pour ouvrir le dialogue. Ainsi, mes œuvres tendent à mettre en valeur l’humain, la culture qui nous élève, ainsi que les matériaux souvent produits en masse sans mesurer leur impact.
En effet, toutes mes réalisations reposent sur des matériaux revalorisés. En 2024, j’ai réalisé une paire de boucles d’oreilles géantes baptisée « Echoes ». Conçues en acier doré, plexiglas (polyméthacrylate de méthyle), perle de verre et bois, elles incarnent bien le métissage de mon travail : faisant écho aux bijoux ancestraux en or du Ghana tout en évoquant les créations contemporaines en plastique coloré.
Au début de HelZA Design, je créais en réponse à la demande, par manque de confiance malgré des carnets pleins de dessins. En 2022, mon style s’est enrichi : j’ai quitté la région parisienne pour Pau, où, grâce à mon frère paysagiste, je travaille dans un atelier plus grand, notamment en utilisant le bois issu de son activité. La même année, j’ai décidé de retourner au Ghana pour vivre entre deux continents. Là-bas, j’accède à divers espaces de création aux côtés d’artisans et revalorise leurs chutes, dans une logique de consommation raisonnée et d’échange. Le Ghana regorge de personnes créatives et ne m’a pas attendue pour faire de l’art ou du design. Travailler avec d’autres me permet d’apprendre et d’affiner mon empreinte artistique.
Je pense ne pouvoir atteindre mon objectif d’utiliser l’art comme outil qu’en cocréant et en partageant l’espace, plutôt qu’en le délimitant pour ma seule activité.

Courtesy de l’Artiste

Courtesy de l’Artiste
Asakan : Quelles sont vos inspirations artistiques, vos influences ? Les thèmes et émotions que vous essayez de transcrire dans vos œuvres ?
L’Artiste : J’ai grandi dans un environnement familial multiculturel — entre références françaises, ghanéennes et amazigh — et en Seine-Saint-Denis, où les cultures se croisent sans cesse. Ce contexte m’a poussée à chercher du sens en moi et avec les autres. Mes inspirations viennent des rencontres, des symboles et des objets du quotidien sur les territoires que je traverse. La culture populaire m’inspire, quelle qu’elle soit.
En janvier 2024, on a sorti un prototype de fauteuil inspiré de la street-food ghanéenne.
En ce moment, Osborn, 17 ans, travaille avec moi à temps partiel à Peki dans le Volta au Ghana. C’est aussi l’occasion d’explorer et de découvrir ses propres références.
Il y a des designers que j’admire un peu partout dans le monde. Mais pour parler de créateurs africains, j’aime particulièrement l’univers de Bibi Seck ou celui d’Ousmane Mbaye, qui, notamment avec des matériaux revalorisés, montrent la richesse créative du continent.
Ce que je cherche à transmettre, ce sont des références qui parlent ou font parler les gens entre eux. Comme le peigne géant (2024), symbole des Akan (Duafe) et des Eʋe, qui a su toucher des personnes d’origines diverses. Mon but est de créer une émotion, d’amener une réflexion partagée.

Peigne Géant entièrement en chute de Bois Rouge, laiton et marbre, 110 cm
Courtesy de l’Artiste

Courtesy de l’Artiste

Courtesy de l’Artiste

Courtesy de l’Artiste
Asakan : Quel est le regard porté sur votre travail par le public ? Par le milieu artistique ?
L’Artiste : Bien sûr, les gens sont souvent étonnés de voir une femme faire des meubles ou travailler le bois. Les réactions sur ce point me font souvent sourire, car elles témoignent aussi de notre société. Bien que je ne connaisse pas beaucoup de collègue femme au Ghana sur le bois, je trouve les réactions plus inclusives au Ghana qu’en France. Sinon, j’ai eu une belle année 2024, avec des retours très encourageants, voire touchants.
Je ne saurais pas dire si le “milieu artistique” pense quelque chose de particulier de ce que je présente. Ce qui me touche, c’est d’échanger avec différentes personnes en partant des pièces, quelle que soit leur origine professionnelle ou sociale. Il y a beaucoup plus d’artistes qu’on ne le pense, en fait. Et si on parle de “milieu artistique”, on veut aussi parler de personnes “reconnues” en tant que telles. J’ai eu des retours sous différentes formes, et c’est assez flatteur. Mais dans ma démarche, je crois que l’échange sans distinction m’intéresse davantage.
Asakan : Quels conseils aimeriez-vous transmettre à d’autres jeunes désireux de se lancer dans l’art ?
L’Artiste : Si j’avais un conseil à donner, c’est tout d’abord de garder en tête que l’art, c’est l’intime langage que l’on possède en soi pour s’exprimer. Restez connecté·e avec vous-même d’abord, pour donner l’énergie suffisante à votre art, mais surtout pour ne pas tenter de plaire à qui que ce soit. Ça plaira aux personnes à qui ça doit parler.
Vous pouvez bien sûr adapter les médias employés, comme vous adapterez vos mots au public pour vous faire comprendre — cependant, n’adoptez pas un message si ce n’est pas celui que vous voulez faire passer.
Pour plus d’informations sur le travail d’Hellen Amewu Zaïna BITATSI / Hel;ZA,
- Son Compte Instagram.
La Rédaction.