Né en 1988 au Bénin, Ulrich Gbaguidi est un artiste qui partage avec les grands artistes de son époque une sensibilité profonde, une passion immense et une résilience à toutes épreuves. Ses œuvres, pleines de lumière, de couleurs et spiritualités vodoun, nous invitent à la vie tout en ne cessant de nous rappeler bien souvent que le monde ne tourne pas toujours rond.
Coup de Cœur.

Asakan : Pour commencer notre entretien, voulez-vous vous présenter ?
Ulrich Gbaguidi : A l’état civil, je réponds au nom de Tchégnikin Ulrich Auxis Gbaguidi et Ulrich Gbaguidi de nom d’artiste. Je suis un artiste plasticien expressionniste béninois dont le travail oscille entre la peinture, la sculpture (surtout la récupération), la vidéo, la photographie et l’installation. Mais pour le moment, je suis plus retenu par la peinture depuis le Bénin où je vis et travaille.
J’ai fait mes premiers pas académiques en art à l’Ecole Secondaire des Métiers des Arts Hermann Gmeiner (ESMA) à Abomey-Calavi, assorti des diplômes CAP et DT en sciences et techniques des métiers des arts. Six ans de rudes formations (2005-2011) où les rouages et préliminaires des disciplines de l’art me furent octroyés.
Dans la quête de la curiosité artistique, tout en donnant sens aux diverses activités culturelles en Arts Plastiques, je suis aujourd’hui titulaire d’une Licence en Histoire de l’art de l’Université d’Abomey-Calavi obtenue en 2016 sur le thème : « L’abstraction au Bénin de 1990 à nos jours : cas de Charly d’Almeida ». Ces recherches furent le nœud de tout l’intérêt voué à l’abstrait depuis 2008.
Ma formation académique en arts a aussi poussé ma singularité vers le graphisme, l’illustration et l’audiovisuel. Cet atout contribue aujourd’hui à ma position de Chargé de communication en art graphique et visuel depuis 2015, et également médiateur culturel à la Galerie Arts Vagabonds Bénin depuis 2020. Je suis également membre du Conseil Africain des Rencontres Contemporaines de Cotonou(RCC) ; un festival dont l’ambition est la célébration de l’art contemporain sous toutes ces formes (expositions d’artistes entres plusieurs galeries, échanges et discussions entre artistes générations confondues, mécènes et passionnés, des masterclass, des visites d’atelier, des colloques scientifiques culturelles, etc.) entre plusieurs villes au Bénin et pays de la sous-région voire internationaux.
Je reste actif sur des projets d’exposition, de résidences de création, ou de partage artistique entres mes pairs au Bénin et du monde.
Asakan : Quelle définition faites-vous de l’art ? Et comment percevez-vous l’art contemporain ?
Ulrich Gbaguidi : L’art, selon moi, est la mise en valeur de l’imaginaire peu importe la manière. Il est le réceptacle de tout développement puisqu’il a contribué à la genèse de la création de notre monde. Dieu est un artiste.
L’art est la mise en valeur d’une idée. Il est l’inutile à l’utile, de la souillure au luxe et de l’insensé au sensé.
L’art sous le regard contemporain, a donné vie à un foisonnement artistique dont les protagonistes font beaucoup d’émules par leur densité créative. Cette période nous pousse à être, nous insuffle l’énergie nécessaire pour marquer notre temps, notre passage. Ainsi se distingue-t-il par la liberté expressive et va parfois contre les dogmes du système en permettant aux protagonistes de se faire remarquer par leurs technicités et leurs discours. L’art contemporain ou non, est ainsi par essence liberté expressive.

Asakan : Quand avez-vous su que vous consacreriez votre vie à l’art ?
Ulrich Gbaguidi : Ma formation académique en art m’a permis de poser les jalons de mon avenir. Surtout avec la résidence de création en 2008 sur le thème : « La migration et moi ». Un projet de recherche ; de formations et de création initié par Arts Vagabonds Bénin de Christel Gbaguidi. 11 jeunes plasticiens de l’ESMA ont été retenus pour cette initiative. 56 œuvres réalisées qui parcourent le monde avec des expositions à l’Ambassade de l’Allemagne près le Bénin, sur le festival les Semaines Culturelles Béninoises en Allemagne (Se.Cu.BA.) et au canada. Au cours de cette période, j’ai compris que je ne pourrai faire rien d’autre qui ne trouve son essence dans l’art. Rien ! Même à l’université, je restais convaincu sur mes attentes : être artiste plasticien. Nos professeurs à l’époque, prenaient du plaisir à dire que nous (les étudiants) finirions dans l’enseignement. Mais je savais ce que je voulais ; d’où la pratique aujourd’hui.

Asakan : En tant qu’artiste, comment vous définissez-vous ? Comment êtes-vous parvenu à la finalisation de votre empreinte ?
Ulrich Gbaguidi : L’artiste est celui par qui la nature s’exprime. Je me définis donc sans ambages : comme l’autre regard du monde qui reste dans la quête de l’Homme à l’état nature. Mais je reste un artiste insatisfait, chercheur socio-anthropologue. Il m’est parfois difficile de porter du cœur à mes œuvres surtout quand je fais face à l’aboutissement de leurs finalités. Raison pour laquelle mon empreinte actuelle me laisse indécis et je cherche encore malgré qu’elle ait subi tout un processus.
Toutefois, mes recherches introspectives autour du ‘’ MOI ’’ et l’intérêt porté par l’historienne de l’art hollandaise Sanne Molenarr, au cours de ses recherches « sur le rôle joué par le caméléon dans l’inspiration des artistes plasticiens au Bénin » pour sa thèse, m’ont conduit à aller à la rencontre d’une entité ; qui constitue actuellement, le socle de mes recherches plastiques : le Sègbo Lissa (Le Caméléon).
Ainsi, depuis fin 2014, des symboles ont trouvé refuge dans mon travail (la flèche, les successions de traits). A partir de 2018 se manifesta une parcelle du Sègbo Lissa : les spirales (représentation des yeux de l’Humain transcendantal) ajouté aux premiers symboles. Dès 2020 fut le tour du triangle (symbole majeur de la nature qui prône sous d’autres cieux : l’unicité) et les portions de textes. Ce corpus d’idée que j’affectionne « idéogrammes » est récurrent dans mon travail.
Voir l’Humain sous l’angle du Sègbo Lissa me permet d’entrer dans la conscience de l’autre qui ose le regard ou a de l’intérêt pour mon travail. Cette entité est l’une des premières formes représentatives sur terre utilisée par le divin pour sa manifestation. Ses yeux empreints de spirales, explorent en 360o ; d’où l’intérêt à sa première aptitude : l’Observation. Avec la Prudence et l’Adaptation qui s’ajoutent en second, cette entité nous invite à explorer le monde autrement en prenant en compte que l’Humain est un Handicap pour la quiétude de la planète. Se remettre en question en chaque instant est donc une once d’espoir de voir l’Humain comme le Divin.
Je suis parfois un homme incompris. Et il faut parfois du temps pour appréhender la portée de mon personnage, de mon travail, au-delà de la simple couleur sur un support qui émerveille les sentiments, le beau ou une idée projetée dans un environnement.


Asakan : Quelles sont vos inspirations artistiques, vos influences ? Les thèmes et émotions que vous essayez de transcrire dans vos œuvres ?
Ulrich Gbaguidi : Un être humain normal doit subir une forme d’influence dans sa carrière qui contribue au façonnage de sa personnalité. Me concernant, mes repères un tant soit peu furent les travaux de Dominique Zinkpè, Tchif au Bénin et Anselme Kiefer en Europe.
Ma connexion voire mon interaction avec chaque élément de mon environnement direct ou non et le regard sur les travaux d’artistes connus ou non, contribuent aux résultats issus de mes interrogations quotidiennes autour de thèmes spécifiques comme « le Sègbo Lissa, l’humain, la nature, l’écologie, la sociologie, la mémoire, les valeurs autour de la spiritualité africaine » qui, sous d’autres cieux me facilitent la création.
Curieux de nature, elle me donne accès à des informations auprès de sachants méconnus du public lambda. Je me remets énormément en question pour le substantiel et parfois ma satisfaction passe aussi par le regard de l’autre sur mon travail.

Asakan : Quel est le regard porté sur votre travail par le public ? Par le milieu artistique ?
Ulrich Gbaguidi : Mon travail a toujours eu un retour positif malgré ma grande insatisfaction sur sa finalité en atelier. J’ignore si ce retour positif est une empreinte d’hypocrisie ; surtout au regard de la complexité de l’être humain. Mais cela ne cajole pas mon égo à se reposer sur ses lauriers. Réfléchir encore et encore afin de mieux appréhender mon travail est le diadème que je porte avec satisfecit.
Sous d’autres cieux, la relativité du goût m’amène aussi à remettre en question le regard de l’autre sur ma pratique artistique, qui est appelée à grandir davantage.
Asakan : Quels conseils aimeriez-vous transmettre à d’autres jeunes désireux de se lancer dans l’art ?
Ulrich Gbaguidi : Rester objectif est ce qui me vient directement à l’idée. La remarque est mienne de voir cette jeunesse ne plus être en verve comme nous autres en notre temps. L’accès aisé aux NTICS et bien d’autres, font que d’aucuns se permettent la liberté de penser que tout est facile, gratuit, sans l’ombre d’une gêne responsable de leur part. J’ai personnellement coaché en atelier, proposé de jeunes artistes sur des initiatives prometteuses à caractère public ; voire même les supplier d’y prendre part (un bénéfice que je n’ai jamais reçu à ce jour) ; mais la déception est mienne à chaque fois. Sur le coup je me pose des questions sur cette jeunesse et son implication dans l’art qui, n’hésiterait pas au moment opportun à nous jeter la pierre, nous leurs aînés pour devoirs non faits, en oubliant avec assurance la responsabilité qui fut la leur.
A l’endroit de ses jeunes passionnés par l’art, je les invite à donner sens et raison à leurs attentes. La passion seule ne suffit plus, il faut aussi la rigueur, le respect, le goût du travail bien fait, l’adhésion aux diverses formations utiles et l’abnégation aux opportunités. Le gratuit est un piège voilé par notre conscience.

Technique mixte sur toile, 390 x 132 cm
Courtesy de l’Artiste

Technique mixte sur papier, 126 x 100 cm
Courtesy de l’Artiste

Technique mixte sur toile, 136 x 120 cm
Courtesy de l’Artiste
Pour plus d’informations sur le travail d’Ulrich Gbaguidi,
La Rédaction.